Bucket list: Cette fameuse liste des projets que l’on souhaite réaliser avant sa mort. Sur la mienne se trouvait le souhait de skier en hors-piste au Japon. Voici le récit nippon d’un voeu que je peux maintenant cocher sur ma liste.
Sumimasen
Chaussé de mes bottes de ski et fatigué d’une longue journée de ski de poudreuse entre les arbres, je trébuche sur la dernière marche dans l’entrée de l’hôtel. Devant moi, la jeune employée en uniforme parfaitement repassé et immaculé s’immobilise et s’incline respectueusement: “Sumimasen” dit-elle de sa voix délicate. Elle s’excuse de m’avoir embarrassé en étant témoin de MA maladresse…Bienvenue au Japon, terre de toutes les politesses. Et destination de ski mythique.
Loin des foules, près du bonheur
Un de nos deux guides nous prévient dès notre première rencontre dans le hall de l’hôtel, à Aomori (dans la préfecture du même nom tout au nord de Honshu, l’ile principale de l’archipel nippon): “Il y a peu de gaijins (étrangers) dans cette région”. Et Pat d’ajouter, avec un accent Kiwi qui requiert toute mon attention: “Et c’est sans compter l’absence même de Japonais dans les secteurs hors-pistes, Mate!” En d’autres mots, toute la neige, et Dieu qu’il y en a, sera pour nous seuls.
Intense décalage horaire oblige, je me réveille à 2h00 du matin. Pas grave, me dis-je. Ça va être malade, ce ski dans les sous-bois! Je me lève du futon, marche sur le tatami et ouvre le rideau de soie. Dans la nuit noire de la région de Tohoku, il pleut… Enfer et damnation! Démoralisé, je dois quand même me présenter à la salle à manger à 6h30 pour faire le plein de calories et de protéines, dont quantité d’origine inconnue et presque impossible à identifier. Et parfois aux arômes étonnants…
Menu quotidien
Départ en mini-bus à 7h30 avec nos skis bien attachés sur le toit de la van. Destination Appi Kogen, la magnifique. Nous sommes six clients (dont cinq Australiens) et deux guides Néo-Zélandais. La stratégie est simple: nous accédons à l’arrière-pays grâce aux remontées mécaniques, mais nous skions en hors-piste (slackcountry ou sidecountry) avec tous les risques et les interdictions associés à cette pratique. Beau plan, sauf que la pluie de la nuit dernière a trop imbibé la neige en hors-piste pour que nous puissions y skier. Alors aujourd’hui, en piste nous skions. La formation de base sur l’utilisation du matériel d’avalanche est remise à demain. Les pistes sont de véritables boulevards parfaitement damés. Elles se laissent entailler profondément par nos skis (dans mon cas, des 147-115-135 loués à l’agence australienne qui organise et guide ce voyage). La glisse est parfaite. Nous sommes presque seuls sur les pistes. Il y en a moins de 20 sur ce domaine vaste comme Tremblant. Alors que dans le métro de Tokyo il n’y a pas assez de place pour se gratter une fesse sans gratter celle du voisin en même temps, ici on peut crier au meurtre sans être entendu par qui que ce soit.
En fin de journée, nous reprenons la route vers une nouvelle station. Il neige. À l’hôtel (nous logeons dans quatre hôtels différents durant le voyage), la chaleur du onsen est appaisante. Le bain de source thermale prend son origine à même l’activité volcanique de la montagne. Moitié à l’intérieur et moitié à l’extérieur, l’onsen nous accueille nus. La petite serviette blanche sert à se couvrir… la tête pour se protéger du froid.
Les journées suivantes se déroulent parmi les arbres et sur des pentes vierges submergées de neige. Il neige pratiquement à chaque nuit. Je me félicite d’avoir loué des skis de poudreuse très larges. En plus de ne pas avoir à les transporter (pensez au métro tokyoïte à l’heure de pointe…), ils sont superbement adaptés aux conditions neigeuses locales. Le terrain est habituellement constitué de pentes raisonnables, parfois intimidantes et quelques fois terrifiantes! À part les nôtres, aucune trace ne témoigne du passage d’autres skieurs. L’espace entre les arbres varie beaucoup, de très étroit à très ouvert. Nous explorons pentes, couloirs, falaises (“Celles-là, je vous les laisse les gars…”) et champs de neige ouverts et paradisiaques. Même si les remontées mécaniques constituent notre principal moyen d’accéder aux sommets, nous faisons quelques ascensions en peaux de phoque vers des secteurs isolés. De façon générale, le terrain présente des défis réalistes et justifie totalement la dépense. Car il faut le dire, cette aventure coûte quand même pas mal de yens. Tant pis pour mon fonds de pension, il s’agit de ma bucket list après tout!
Les lignes de descente sont presque infinies. Il me faut attendre au troisième jour avant de devenir à l’aise dans ces domaines mythiques. On en rêve, mais quand on y est, un petit frein intérieur appelle à la modestie. Au diable, la modération; on ne vit que deux fois me plais-je à dire. J’y suis, j’en profite. C’est d’ailleurs ce que fait chaque membre du groupe. Cependant, Miky a bien failli y laisser sa peau. Lors d’une longue traversée au sommet d’une très forte pente, il perd l’équilibre dans un très étroit passage et culbute de plus en plus vite vers le ruisseau au fond du ravin. Nous sommes tous muets et impuissants. Il s’arrête brusquement dans l’eau peu profonde après avoir percuté un rocher. S’ensuit une avalanche de jurons australiens brefs, mais intenses! La Patrouille ne dessert pas cette portion de la montagne; c’est un long et pénible retour vers l’hôtel. Bilan de sa mésaventure: plusieurs ecchymoses, deux côtes fracturées, une entorse au genou droit et un casque défoncé. “Chanceux” va, le séjour de ski se termine aujourd’hui de toute façon…
En plus d’Appi Kogen, nos pérégrinations nous amènent à Shizukuishi, Tazawako, Amihari et Aomori Spring (Ajigazawa). Ces stations sont retenues par nos guides pour leur proximité commune (jamais plus de deux heures de route entre elles), de l’abondance de la neige ainsi que de la qualité des hôtels authentiquement japonais. Aucune des stations n’est de proportion alpine, ni même comparable à ce que l’on retrouve dans les Rocheuses. Le nombre de pistes y est limité (entre 7 et 25), mais les domaines skiables sont toujours énormes. Les dénivelés, quand même respectables, se situent entre 650 et 900 mètres. Avec peu ou pas de neige fabriquée, les stations des régions d’Iwate et d’Aomori comptent parmi les joyaux mondiaux de la poudreuse. Ce qu’elles n’offrent pas en night life ou en condos luxueux au pied des pentes, elles le compensent largement par du ski mémorable loin des sentiers battus. Beaucoup plus modestes que les énormes stations touristiques de classe mondiale telles que Niseko et Hakuba, les stations de ski du nord de l’ile de Honshu sont de mémorables destinations très peu connues des Occidentaux.
Mata itsu ka, Mr. Teasdale!
Dans le hall d’entrée de l’hôtel, des membres du personnel se réunissent pour saluer notre départ avec des pancartes en forme de mains géantes qu’ils agitent lentement et en souriant, toujours en s’inclinant respectueusement, leur manière de nous dire: “Sayonara!”. C’est une expression que les gaijins aiment bien, mais que les japonais utilisent peu puisque c’est littéralement “Adieu”. La culture japonaise étant ce qu’elle est, il y a de nombreuses façons de dire “au revoir” selon les circonstances et les personnes à qui s’adresse la salutation. Heureux d’avoir appris mon nom, le portier s’incline. J’ai bien essayé de me faire appeler Patrick, au lieu de Mister Teasdale. Rien n’y fait; l’étiquette ne le permet pas.
J’ai adoré le Japon. Au delà de la légendaire neige nippone, ma virée est autant une expérience de glisse qu’une découverte humaine et culturelle. Qu’il s’agisse de la nourriture, des Japonais eux-mêmes, des emballages ultra raffinés, du système ferroviaire ou de la culture populaire (manga, J-Pop, cosplay, lolita, gyaru, etc.), le Japon m’a imprégné d’un profond respect et d’un désir de revenir au plus tôt. Demain, le Shinkansen me ramènera à Tokyo dans le plus grand confort. 700 kilomètres en 3 heures c’est juste assez de temps pour me remémorer les meilleurs moments de mon aventure japonaise. Check!