Je me rappelle vivement mes premiers séjours de randonnée alpine dans les Chics-Chocs, il y a 30 ans. Nous n’avions aucune conscience des risques d’avalanche ni des conséquences d’un accident en région éloignée… Cependant, j’avais une pelle… dans l’auto. Nous étions montés dans un étroit couloir afin de profiter d’une profonde neige fraîche. Au sommet du couloir, une large corniche nous surplombait. Forts de notre manque d’expérience, nous avons skié ensemble… Peu nombreux dans le secteur, nous étions les rois de la montagne. Un matin, nous avons observé les débris d’une avalanche. La ligne de fracture était très large et profonde. C’était le plus impressionnant phénomène de montagne que j’avais jamais vu!  Bienheureux est l’ignorant! Surtout s’il s’en sort vivant.

Quand le blanc vire au noir

Visionner une vidéo de dégagement de victimes d’avalanche est… suffocant. Être enseveli sous un mètre de neige sans lumière ni son doit être intenable. Ceux et celles qui ont survécu à cette épreuve témoignent avoir touché l’abysse. Pour éviter le pire scénario, ou au moins en réduire les conséquences potentiellement tragiques, il faut se préparer. Il est impératif de savoir que des accidents ont bel et bien lieu au Québec. Et pas seulement dans les montagnes gaspésiennes. Outre les avalanches, plusieurs dangers guettent les randonneurs alpins, et ce, même en station de ski: hypothermie, blessure sérieuse, se perdre, bris d’équipement, perte de visibilité due à une tempête, etc.

Préparation et prévention

La préparation est la pierre angulaire sur laquelle toute sortie doit être envisagée. Des cours de sécurité en terrain avalancheux sont disponibles ici même au Québec. Utiles bien au-delà des hautes montagnes, des connaissances sur la constitution du manteau neigeux aident à comprendre les conditions dans lesquelles on s’apprête à skier. Comprendre l’évolution et la transformation de l’état de la neige favorise une meilleure prise de décision quant au choix des routes d’ascension et des voies de descente. Il faut savoir que même un secteur déjà fréquenté par d’autres skieurs et planchistes, et même si une avalanche s’y est produite récemment, peut présenter des risques. 

De plus, établir un plan de route est une bonne habitude. On le laisse à quelqu’un qui pourra mettre en branle les secours en cas de retard important. Évidemment, cette personne ne fait pas partie du groupe sur le terrain. Au retour d’une sortie, on ferme le plan de route en communiquant avec son contact afin de signifier le retour de tous les membres du groupe. Les éléments à inclure dans le plan sont: la destination, la date, les heures d’arrivée et de départ, le nom des participants, le nom de la personne responsable au sein du groupe, le numéro de cellulaire de tous les membres, le numéro de plaque des véhicules, qui contacter en cas de délai ou d’urgence, après combien de temps de retard contacter les autorités si nécessaire, etc.

Autant avant que pendant une sortie en hors piste, la prévention est un élément qui augmente considérablement les chances de faire une sortie qui se déroule bien. C’est ainsi que l’on doit s’assurer que les membres du groupe soient de calibre semblable, ou du moins que tous acceptent de progresser selon le niveau d’habileté du membre le moins performant ou le moins expérimenté. Pousser un skieur ou un planchiste trop loin au-delà de ses capacités augmente les facteurs de risque et met donc par le fait même tous les membres du groupe dans une situation de vulnérabilité.

Un skieur s’amuse dans les sous-bois ouverts du Mont Alta, à Val-David: là aussi, les risques existent!

De l’équipement à l’éducation

Apporter avec soi un minimum d’équipement demeure fondamental. Par exemple, en terrain avalancheux, porter un DVA (détecteur de victime d’avalanche) fonctionnel est essentiel. Encore faut-il savoir l’utiliser et avoir pratiqué les techniques lors de simulations avec ses partenaires d’expédition. Le matériel de toute sortie en hors piste devrait inclure, en plus des DVA: trousse de premiers soins, pelle, sonde, eau, collations, pièces de rechange, outils, cellulaire chargé, lampe frontale, etc. La destination et la durée de la sortie dicteront le choix d’équipement à emporter. Internet regorge d’informations sur les sites de ski hors piste et les conditions de glisse.

Il faut par ailleurs consulter les prévisions météorologiques et savoir les interpréter dans le contexte de sa sortie en hors piste. Encore une fois, l’information est facilement accessible en ligne et en temps réel. Suivre une formation de base en météorologie appliquée aux randonneurs est fort utile.

Au-delà de l’équipement et des connaissances sur les conditions météo et neigeuses, le bon sens exige de maîtriser les premiers soins en région éloignée et d’avoir avec soi une trousse digne de ce nom. Savoir contrôler des saignements, stabiliser ou réduire une fracture, reconnaître et traiter l’hypothermie ne sont que quelques-unes des techniques nécessaires à sa sécurité lors de sorties en milieu naturel. Il pourrait être risqué de surévaluer l’accès à la patrouille de ski en station. Hors station, la question ne se pose même pas. Éviter que le blanc ne devienne noir est faisable avec une bonne préparation, les bonnes connaissances et le bon équipement. Qu’il s’agisse du DVA, du matériel de premiers soins ou de l’évacuation d’une victime, avoir pratiqué des scénarios sur le terrain est essentiel. De plus, en s’éloignant des grandes villes il ne faut pas prendre pour acquis qu’un signal téléphonique existe.

L’ensemble de sécurité de base tient dans un sac à dos: DVA, sonde, pelle, vêtements, etc.

Gestion de risques: ne rien sous-estimer

De nombreux modèles (souvent des tableaux) permettent de mettre en place un processus d’évaluation des risques (risk assessment) qui mènera à une planification responsable basée sur des choix éclairés. Au Québec, le site de Avalanche Québec publie son bulletin, qui est une bible pour les habitués de la randonnée alpine. Savoir identifier les risques et les dangers, tant objectifs que subjectifs, permet de constituer un plan B en cas d’incident. Ainsi, après évaluation des risques d’une sortie on pourrait choisir de la déplacer géographiquement ou temporellement. Les aventuriers les plus aguerris font rarement une sortie sur un coup de tête; la spontanéité a beaucoup de charme, mais elle peut aussi poser des risques importants. Tous les membres du groupe devraient connaître les plans A et B, etc. Tous devraient aussi connaître les risques identifiés lors du processus d’évaluation, ainsi que les conséquences potentielles de ceux-ci.

Il est donc possible de faire en sorte qu’une sortie de glisse en hors piste demeure une activité sécuritaire et amusante. De plus, faire preuve de prudence et demeurer conservateur dans ses choix lors d’une sortie peut faire la différence entre une journée amusante et une conclusion tragique. Pour reprendre une maxime anglo-saxonne: Souhaiter que le meilleur se produise, se préparer pour le pire. 

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Patrick Teasdale aime beaucoup jouer dehors. Télémarkeur depuis longtemps, il explore maintenant les possibilités du ski de randonnée alpine. Il troque volontiers sa pagaie groenlandaise ou ses skis pour une tasse d'excellent thé vert japonais. Un brin poète et idéaliste, il ne demande qu'à être émerveillé par une trouée de lumière, un chant d'oiseau ou une lame de neige. Il aime soigner ses chroniques et ses photos.