[NDLR: Cet article a été rédigé en mars 2020 mais les informations et faits qu’il relate sont toujours d’actualité]
À une heure de Genève et à un peu plus de deux heures de Lyon, la commune de Morzine-Avoriaz est une station de ski qui fait partie du domaine des Portes-du-Soleil à cheval sur la France et la Suisse, reliant ainsi 12 stations sur un domaine skiable de 650 km, soit 306 pistes au total.
Le village de Morzine
Morzine est un village authentique de Haute-Savoie à 1000 mètres d’altitude, niché au creux des Alpes, et qui, malgré le développement de la station, n’a rien perdu de son charme. Traditionnellement agriculteurs, éleveurs et ardoisiers, on peut voir les premiers balbutiements du tourisme dans les années 1930 et certains paysans accueillent quelques vacanciers en quête de bon air des montagnes dans une partie de leur maison qu’ils appellent « pension ». Cette activité naissante subit une interruption pendant la Seconde guerre mondiale et reprend de plus belle dans les années 1950. C’est ainsi que notre famille, une des « vieilles » familles morzinoises, s’est lancée dans l’hôtellerie alors que nos grands-pères s’occupaient encore de leurs troupeaux en pâturage en montagne et avaient des chalets d’alpage.
Morzine se situe au pied du Pléney, la station de Morzine-Nyon-Les Gets, une des stations de moyenne montagne qui fait partie des Portes du Soleil qui s’étire entre 1550 et 2019 mètres d’altitude. Son téléphérique est inauguré en 1934 et son domaine se déploie autour de 48 remontées mécaniques, 69 pistes de tous les niveaux, le bleu prédominant. C’est le secteur familial par excellence, à sa base, les cours de l’école du ski français (ESF) fourmillent d’enfants qui apprennent à skier.
Le village d’Avoriaz
Avoriaz est la station de haute-montagne qui s’est développée en 1960. Cette année-là, Jean Vuarnet devient champion olympique à Squaw Valley (devenu Palisades Tahoe) et prend également la direction de la station souhaitant en faire « un petit Colorado savoyard et ouvrir les champs de neige à tous; pour les Morzinois, c’était presque l’Alaska », se souvient-il. Il travaille avec une équipe de jeunes architectes, dont Jacques Labro, sur une structure mimétique; à Avoriaz, les gens seront dépaysés dans un décor original rappelant celui des falaises sur lesquelles la station est érigée. Les voitures n’y auront pas leur place; les vacanciers se stationnent dans les grands parkings à l’arrivée et rejoignent leurs locations en traineaux, d’abord tirés par des rennes puis par des chevaux.
D’hier à aujourd’hui
Aujourd’hui, le visage des vacanciers qui fréquentent l’ensemble du domaine des Portes du soleil change. La nouvelle génération d’hôteliers (qui reprennent l’affaire familiale dans bien des cas) a fait des études supérieures en hôtellerie, a voyagé, est bilingue et profite de la manne de touristes européens qui arrivent à Genève par des vols charter pour venir passer parfois ne serait-ce qu’un weekend en montagne. Beaucoup de Britanniques se sont établis à Morzine, retapant de vieux chalets ou en construisant des nouveaux afin d’accueillir des groupes auxquels ils offrent même parfois des cours de ski avec leur équipe de moniteurs.
Dans le village, à l’heure du 5 à 7, on entend autant d’anglais que de français, on se croirait presque à Montréal! Pleins de nouveaux commerces ont vu le jour dans les 10 dernières années, snowshops, pubs, snackbars pour répondre aux besoins de cette clientèle nantie qui mange sur le pouce, qui glisse l’hiver et pédale l’été. Le Brexit assène un coup à ces vacanciers « citoyens du monde » qui se déplaçaient jusqu’ici sans passeport ni permis de travail en Europe, mais étant donné que beaucoup de Français travaillent également en Angleterre, des accords verront assurément le jour.
Les stations de ski à travers le monde font face à des enjeux climatiques qui contribuent aussi à métamorphoser un peu le visage des stations. Haute-Savoie, Pyrénées, Alpes du Sud, aujourd’hui, les stations de ski offrent des vacances à la montagne, et plus seulement du ski. Le ski demeure la locomotive, mais de nombreuses activités sont proposées aux vacanciers : luge, yooner (sorte de luge), ski joëring, ski de fond, ski de randonnée, randonnée en raquettes, parapente, héliski, patin, moto neige, marche nordique, natation, yoga, escape games… Et surtout, la restauration a pris un essor considérable avec le « snacking » qui cohabite avec la gastronomie, même sur les pistes. Les restaurants d’altitude restent ouverts tard le soir, les remontées mécaniques ne ferment plus à 17h00.
L’été, l’ambiance est tout aussi vivante et vibrante! Randonnées, VTT (vélo de montagne), escalade, rafting, golf, parcours aventure, fitness, etc. Les activités estivales attirent aussi les vacanciers en montagne; il y fait moins chaud, ce qui rend le séjour agréable. Amateurs de sensations fortes ou de simplement de beaux paysages, toute la famille ou la bande d’amis peut y trouver son compte. De très bonnes tables du terroir accueillent les randonneurs en montagne ou dans le village. On peut se régaler partout et il est parfois difficile de redémarrer après le digestif offert par la maison!
Les défis actuels et les perspectives
Outre la diversification d’activités sur 4 saisons, un autre défi de taille anime les municipalités : connecter les stations pour pouvoir monter plus haut et diminuer les coûts d’exploitation. Cette actualité est brûlante à Morzine-Avoriaz et les élections municipales du 15 mars 2020 opposent férocement deux camps : l’un, plus traditionnaliste, souhaite arrêter le développement à tous crins, conserver l’âme du vieux village, et l’autre camp, l’équipe en place, qui bâtit un projet de liaison plus direct entre Morzine village et Avoriaz 1800, arguant que le village ne sera pas dénaturé pour autant et que la station de moyenne altitude assure ainsi sa pérennité. Il s’agit de l’EMA, l’Express Morzine-Avoriaz, qui remplacerait une liaison complexe (prendre 3 remontées successives) par les hauts de Morzine (Super-Morzine) ou le réseau de navettes actuel pour atteindre le 3S, une remontée de 12 cabines avec un débit de 2000 personnes à l’heure relativement récent (2013).
En 2016, après avoir étudié 11 stations entre 1139 et 2540 mètres d’altitude, une étude suisse (Changement Climatic), tire la conclusion qu’aujourd’hui « l’enneigement semble intervenir douze jours plus tard et disparaître 25 jours plus tôt qu’en 1970 ». Son manteau neigeux aurait diminué sur l’année de 25%. Les chercheurs du GIEC ont donc calculé sur trente ans les évolutions de ces deux indices que sont la météo et le climat. La pire évolution envisagée s’incarnerait dans des températures beaucoup plus élevées qu’aujourd’hui, une neige rare et une pluie abondante, c’est-à-dire des saisons asymétriques : les hivers se raccourciront et seront moins froids alors que les étés s’allongeront et seront plus chauds.
Un séjour épique en mars 2020
Les précipitations ont été nombreuses durant notre séjour entre le 28 février et le 9 mars et la limite pluie-neige a oscillé autour des 1400 mètres d’altitude nous permettant ainsi de faire du ski dans des conditions féériques à Avoriaz entre 1800 et 2300 mètres d’altitude : 120 cm de neige en 4 jours et du soleil de mars sur plusieurs journées. Nous avons donc pu faire un ski de rêve à Avoriaz. L’envers du décor a bien sûr été des pluies torrentielles à plus basse altitude et dans la vallée. On a vu plusieurs cours d’eau anormalement haut en allant se promener à Annecy (le Lac, le Thiou, le Giffre en remontant vers Morzine). On observe donc que tout comme au Québec, les phénomènes sont plus « intenses »; les fortes précipitations sont souvent accompagnées de très forts vents (100 km/h et qui contraignent la station à fermer certains secteurs), ce qu’on ne connaissait pas il y a quelques années.
Les temps changent et les phénomènes météorologiques confrontent les municipalités et les directions de station à des choix. Aller boire le café au village permet d’écouter tous les avis, souvent divergents, sur la question de ces changements d’envergure. Toutefois, ce qui rassemble ces citoyens, c’est l’amour de leur village et de leurs montagnes. Ils sauront le transmettre à leur manière.
Lectures complémentaires