La question peut paraitre ridicule mais mérite qu’on s’y attarde! Le redoux qui sévit au moment d’écrire ces lignes a poussé plusieurs stations à prendre la décision de prendre une pause de leurs opérations alpines pour la journée de lundi, 30 décembre, ainsi que mardi, 31 décembre. Les mots qui reviennent le plus souvent dans les publications afin de justifier une fermeture sont « préserver les conditions ». Mais comment une fermeture permet-elle de préserver les conditions? Voici quelques explications, en lien avec différents secteurs d’opérations en montagne.

Le sommet du versant du Village de Bromont, avec vue sur le Mont SUTTON. Photo M. Longpré, archives décembre 2023.

L’effet de la pluie sur la neige

Cette portion relève du gros bon sens physique et météorologique: la pluie et le temps doux qui l’accompagne ont pour premier effet de faire fondre la neige accumulée au sol. Le degré de fonte sera plus ou moins important selon la durée totale de l’événement, mais aussi selon le niveau de compactage de la neige. La meilleure illustration: les bancs de neige soufflée ou pelletée qui fondent lentement au printemps, alors que les endroits où la neige n’a pas été touchée se dégarnissent plus rapidement. Ainsi, en début de saison, dans les pistes de ski et secteurs montagneux où la neige n’a pas été très compactée, la fonte sera plus marquée.

Le passage des skieurs a lui aussi son effet sur la surface neigeuse. Olivier Lévesque et Benoit Hubbard, responsables du damage et de l’enneigement à Ski Saint-Bruno, expliquent: « La pluie fait fondre la neige superficielle, ce qui rend la neige plus molle et plus instable. Lorsqu’un skieur passe sur une piste mouillée, il va écraser et déplacer la neige fondue, modifiant ainsi la structure de la surface. La neige devient collante et les skis créent des traces profondes, rendant la glisse plus difficile. […] Donc, le passage répété des skieurs dégrade la qualité de la neige en la rendant plus molle, plus humide, et parfois en formant de la glace ou une surface inégale. Cela nécessite des interventions régulières pour maintenir des conditions de ski sûres et agréables. »

Le travail des pistes

La neige mouillée par la pluie nécessite le même type de soins que la neige humide soufflée par les canons lors de la fabrication: elle a besoin d’un temps de repos afin de laisser l’eau s’écouler par gravité. Nicolas Léger-Loiselle, directeur des opérations du Mont SUTTON, indique que le damage de la neige par temps pluvieux demande beaucoup de délicatesse de la part des opérateurs: « Une neige chaude et humide se travaille plus difficilement pour offrir un fini souhaité, dans notre cas le corduroy. S’il fait chaud et que la neige a été travaillée peu avant l’ouverture, la qualité se maintiendra moins longtemps ».

Le travail mécanique au Mont Blanc. Photo P. Teasdale archives novembre 2023

De plus, les pluies peuvent provoquer la formation de ruisseaux ou l’accumulation d’eau à certains endroits en montagne, ce qui rendra le passage des skieurs et de la machinerie plus risqué, autant pour les humains que pour la nature. Ainsi, une fermeture préventive des stations évite d’avoir à travailler mécaniquement la neige, ce qui laisse suffisamment de temps à l’eau pour se drainer. Lors du gel suivant, la base se compactera, résultat: une base plus solide et un meilleur ski. David Grenier, directeur des opérations et du développement au Mont Gleason, rajoute: « Dans un monde idéal, la meilleure période pour remettre les conditions de ski en bon état est quand la température tourne autour de -2°C. À ce moment, nos dameuses sillonnent les pistes sans les damer, et une fois que la température atteint -4 ou -5°C, on repasse pour faire le damage. Le fait de passer une première fois sans damer crée de la neige moins compacte à brasser pour redonner la petite neige granuleuse. Si la température reste au-dessus du point de congélation, c’est plus difficile de déplacer la neige aux endroits plus minces. »

La machinerie

Les remontées mécaniques sont construites pour résister à tous les types d’intempéries que les opérations en station peuvent impliquer: des grands froids aux grandes chaleurs en passant par la pluie ou le vent, les composantes mécaniques des remontées ne risquent pas d’être affectées par les conditions météorologiques. Cependant, avec le perfectionnement technologique, certaines composantes électroniques peuvent générer un mauvais fonctionnement ou une panne. Peu importe le nombre de capteurs répartis le long d’une remontée mécanique, il suffit d’un seul qui envoie un signal fautif et la remontée est mise à l’arrêt, le temps de vérifier en détail ce qui a causé le signal. Il va sans dire que les remontées sont inspectées (et déglacées au besoin) à chaque démarrage le matin, et que la sécurité des skieurs qui empruntent ces remontées est la première préoccupation des opérateurs.

Le verglas fait partie des conditions météo qui affectent les opérations des remontées mécaniques et demandent une attention supplémentaire lors du démarrage. Photo D. Martel archives janvier 2024

Les dameuses quant à elles sont tout aussi résistantes que les remontées mécaniques. Par contre, la multitude de contrôles et composantes hydrauliques et électroniques n’est pas à l’abri de pépins, tout comme votre voiture qui n’apprécie pas un séjour prolongé dans un environnement trop humide. Les journées de pause sont donc une bonne occasion pour effectuer des inspections et entretiens préventifs.

N’oublions toutefois pas les humains qui opèrent les machines: travailler à l’entretien des pistes ou à une remontée mécanique en pleine pluie n’est certes pas une partie de plaisir. Peu de gens seraient enclins à travailler dans ces conditions… et pensez aux patrouilleurs (souvent bénévoles!) qui sillonnent les pistes, bambous et pictogrammes aux bras, afin de baliser les pistes pour assurer la sécurité des skieurs: même si on est loin des tricots lainés, les propriétés isolantes et imperméables des vêtements de ski ont leurs limites encore aujourd’hui!

Un patrouilleur fort occupé au Sommet Saint-Sauveur. Photo P. Teasdale archives novembre 2023

La somme des décisions

Les stations qui prennent la décision de fermer leurs opérations en cas de pluie ne le font évidemment pas à la légère. Au-delà des facteurs naturels et humains, beaucoup de chiffres se bousculent: perte de revenus générés par l’absence de vente de billets journaliers, dépenses supplémentaires pour prévenir ou minimiser les dommages, annulation d’événements ou de cours qui chamboulent un calendrier d’activités pour les jours et semaines suivants… tout cela est un casse-tête dont tout le monde se passerait bien! 

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Geneviève Larivière
Adepte de plusieurs sports de glisse, Geneviève sépare son temps entre le plein-air, le tourisme, la production de contenu écrit et les photos de chats. En station, vous la retrouverez dans un sous-bois, occupée à contempler le paysage entre deux virages.