Retour aux sources

Après 15 ans d’abstinence, je renoue avec Tuck. Il était temps. Rien n’a changé, sinon que je suis 15 ans plus vieux que lors de ma dernière visite au légendaire berceau du ski extrême en Amérique. Le temps est menaçant, mais doux. C’est dimanche et les fidèles doivent être sur les bancs d’église. En effet, nous sommes très peu nombreux à franchir les 2,4 milles jusqu’à Hermit Lake. D’ici, nous changeons de bottes et nous nous dirigeons vers Hillman’s Highway. J’ai le coeur qui palpite. Ce sera à pic. L’inclinaison varie de 35 à 45 degrés. Parfait pour Laura qui fera ses premières descentes à vie à Tuck.

Une longue ascension en vue. Au sol, des milliards d’aiguilles de conifères soufflées par les vents.
La diagonale, vers la gauche, Hillman’s Highway: notre destination.
À l’approche du point d’où nous débuterons la première descente.

Focus, mon homme!

La montée dans Hillman’s débute confortablement. Cependant, plus on monte plus le couloir se rétrécit et se redresse. Nous frappons fort de la pointe du pied afin de nous faire des marches à peine dignes de ce nom. Le talon demeure dans le vide en permanence; un faux pas garantit une glissade rapide sur le ventre. Ce qui est toujours mieux que la culbute accélérée! Un peu sous le sommet du couloir, nous nous arrêtons. Nous choisissons une très étroite bande de neige d’où émergent des têtes de minuscules sapins rabougris. C’est ici que nous mettrons nos skis. Attention, c’est à pic et ça demande de l’attention et de la précision. À l’aide de mes bottes je tape une sorte de micro-plateforme sur laquelle je me balance délicatement. Sous mes pieds, la neige est minée. Les bâtons s’enfoncent comme dans du beurre. Nous bougeons comme des ballerines: en finesse et avec détermination. C’est le premier virage qui compte et qui établit le rythme de la séquence qui débute. Descente en diagonale de la ligne de pente pour prendre un peu de vitesse, flexion, planter du bâton en aval, explosion et virage sauté. Je suis encore debout! Rien ne peut plus m’empêcher d’enfiler les virages. Sauf l’acide lactique dans les cuisses après les 2 heures de randonnée pour venir jusqu’ici et après les 4 heures de randonnée d’hier à Imp Trail. Pis les 45 livres de gear transportés. Le cycle des montées et descentes se répète. La fatigue croît vite. Vers 16 heures, la récréation est terminée. On rentre le coeur en liesse. Le bonheur est total!

Laura a vaillamment transporté 40 livres d’équipement. Aucune plainte de sa part!
La base de Hillman’s, après 20 minutes d’ascension à partir de Hermit Lake, qui est à environ 1 heure 45 de marche du stationnement…

Le party risqué

Nous avons choisi d’éviter de skier dans le bol à proprement dit. Les risques d’avalanche et de chute de glace/rochers y sont plus grands. Les inclinaisons y atteignent des niveaux extrêmes. Autrement dit, on joue safe. Tuckerman Ravine est un pèlerinage à faire au moins une fois dans sa vie si on se considère un skieur sérieux (ça inclut les skieuses sérieuses et les planchistes!). Cependant, on aurait tort de sous-estimer les risques véritables qui y prévalent. Les dangers objectifs sont légion et ils comportent des conséquences potentiellement mortelles. Crevasses, trous béants, chute de glace/roches/humains (!), neige minée, eau qui coule en rivières sous-glaciaires sont autant de périls qui guettent le téméraire. Avant de faire l’ascension, il est sage de se présenter à l’accueil à Pinkham Notch afin d’y prendre connaissance des bulletins météo et d’avalanche. Il faut prendre avec soi un minimum d’équipement et de vêtements. Préférablement, on ne skie pas seul. Tout ceci étant dit, le party de Tuckerman Ravine n’est pas un mythe; c’est une réalité. Vivre une telle aventure à 80% de ses capacités à chaque année est sans doute mieux avisé que de le faire à 130% une seule fois… En tout cas, c’est ce que recommande le chroniqueur après sa 14e visite à vie.

Le centre d’accueil de Pinkham Notch est un arrêt essentiel avant le départ. Prévisions météo et conditions d’avalanche y sont clairement indiquées.

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Patrick Teasdale
Patrick Teasdale aime beaucoup jouer dehors. Télémarkeur depuis longtemps, il explore maintenant les possibilités du ski de randonnée alpine. Il troque volontiers sa pagaie groenlandaise ou ses skis pour une tasse d'excellent thé vert japonais. Un brin poète et idéaliste, il ne demande qu'à être émerveillé par une trouée de lumière, un chant d'oiseau ou une lame de neige. Il aime soigner ses chroniques et ses photos.