Il y a deux façons de faire un voyage au Chili : le style « tout inclus » dans les grosses stations touristiques situées près de Santiago, ou le « road trip » qui garantit une expédition de ski inoubliable agrémentée d’une immersion totale dans la culture chilienne. Thomas et moi avons choisi la seconde option, soit de partir à la conquête de ce splendide pays à travers l’expérience du ski alpin. Douze jours de périple, plus de 2000 kilomètres de route, découverte de 5 stations de ski, ascension et descente de volcans, émerveillement devant les Andes, arrêts dans 4 villes et de nombreux petits villages, rencontres fortuites avec des Chiliens super sympas… Le moins que l’on puisse dire, c’est que de troquer le « tout fait » pour l’aventure offre ses récompenses! Récit et conseils pour ceux qui, comme nous, voudraient vivre le dépaysement tout en skiant des montagnes bien enneigées!
Direction : al sur
18 août 2014. Thomas et moi embarquons dans l’avion à Montréal avec nos skis, mais aussi avec une certaine appréhension : les échos de l’hiver 2014 en Amérique du Sud ne sont pas des plus favorables. « Le pire hiver depuis des décennies », « il n’y a pas de neige dans le coin de Santiago » et « les stations de ski en Argentine vont devoir fermer prématurément » sont des phrases qui résonnent à nos oreilles, nous faisant prévoir le pire.
Malgré tout, nous avons bon espoir d’y trouver des conditions de glisse décentes étant donné nos destinations : les montagnes des régions du Bío-Bío et d’Araucanie ont été choyées cette année.
Des régions bien enneigées
Bon an mal an, il semble que les stations de ski situées dans ce qu’on appelle aussi la « région des volcans » reçoivent d’importantes quantités de neige. S’élevant là où la vallée fait place à la Cordillère des Andes, ces centres de ski sont frappés de plein fouet par les systèmes prenant naissance dans le Pacifique. Ainsi, quelques grosses tempêtes accompagnées de petites accumulations ici et là finissent par garantir un enneigement annuel stable permettant aux skieurs venus de loin de ne pas trop se stresser avec le manque de neige. La preuve : même lors d’une mauvaise saison comme celle de 2014, nous avons skié sans souci quatre de nos cinq destinations.
Il convient néanmoins d’évoquer l’envers de la médaille. Bien qu’elles bénéficient d’un enneigement plus abondant que les destinations au nord, où la température est plus sèche, l’altitude généralement moins élevée à la base des stations de ski au Bío-Bío et en Araucanie augmente les possibilités de précipitations liquides et de redoux. Comme tout voyage de ski, il s’agit là d’un risque qu’il faut être prêt à assumer. Heureusement, étant donné les précipitations plus fréquentes dans ces régions, la situation se rétablit généralement assez rapidement.
Peu importe l’endroit, il faut partir un brin philosophe en se disant que le skieur est l’otage de la nature et qu’il est impossible d’y changer quoi que ce soit. Et cela est d’autant plus vrai lorsqu’on se dirige vers l’Amérique du Sud, où la température est plutôt volatile. Notre expérience de glisse en témoigne : nous avons eu droit à du ski de printemps lors de nos trois premiers jours à Nevados de Chillán et Antuco, avant de faire nos traces dans la neige fraîche après une tempête à Corralco et Las Araucarias les quatre jours suivants, pour finir sur des conditions printanières à Pucón.
Partir à l’aventure
S’éloigner des centres touristiques, c’est par le fait même se lancer à l’aventure. À défaut de se faire organiser un voyage par une agence, il faut évidemment partir avec un minimum d’organisation : connaître les compagnies d’autobus (il y en a plusieurs au Chili) et les horaires, les routes, les distances, quelques hébergements, etc. Ensuite, toutes les possibilités s’ouvrent pour se créer un périple sur mesure. Cela est d’autant plus plaisant que le Chili est un pays stable et paisible, où les gens sont relaxes, sympathiques et accueillants. Mais attention! Ne vous attendez pas à ce qu’ils fassent des efforts pour parler anglais; si vous ne maîtrisez pas l’espagnol – c’est notre cas – vous devrez faire de gros efforts qui ne manqueront pas de faire sourire les Chiliens.
Côté ski, il faut être prêt à tout! Bien malin celui qui pourra prévoir quels types de conditions il skiera, puisqu’aucun site météorologique ne donne l’heure juste sur les prévisions de neige, le vent, la température, etc. (quoique Snow Forecast reste relativement fiable). Le vent est d’ailleurs un facteur bien présent dans les Andes, et particulièrement dans la région des volcans. Ceux-ci trônent en effet parmi les montagnes environnantes, exposant leurs faces enneigées avec pour résultat des surfaces souvent wind packed. La conséquence : si la neige fraîche arrive en abondance, la poudreuse profonde devient une denrée rare! Et le bon côté? Le vent remplit les traces de la veille de neige fraîche, donc il est possible de tracer plusieurs jours après une tempête. De plus, cela minimise les risques d’avalanche pour ceux qui s’aventurent en hors-piste.
Les stations du sud : une expérience unique
C’est avec ce même « esprit philosophique » évoqué plus haut que doit être abordée l’expérience de glisse dans le sud du Chili; de fait, s’éloigner des destinations touristiques, c’est également entrer dans une culture du ski en développement, avec tout ce que cela comporte comme surprises. Le nouveau téléski usagé (style arbalète) de Corralco en est un exemple éloquent : perches manquantes, cordes usées, gare aval encore en construction, préposé au sommet s’abritant du vent dans un igloo de fortune… Bref, l’important c’est qu’il roule et qu’il permette d’atteindre le sommet! Loin des grosses stations près de Santiago prisées par les voyagistes pour leurs infrastructures modernes, les destinations du sud offrent ce caractère plus rustique et, disons-le, charmant, pour le skieur prêt à prendre les choses comme telles.
Ces stations ont comme particularité d’être situées au pied de volcans, ce qui offre des possibilités d’ascension et de descente pour les plus téméraires. Bien que les remontées mécaniques permettent d’accéder à une certaine élévation, il faut faire le reste à pied (prévoir des crampons pour les bottes de ski). L’effort – souvent entre trois et cinq heures d’ascension – offre sa récompense : rien de tel comme la sensation de se trouver en haut d’un volcan enneigé, sur le bord de son cratère à observer le paysage, avant d’embarquer sur ses skis et descendre 1500 mètres de dénivelé sur de la neige non tracée.
Un parcours à découvrir
Située à environ 70 km de la ville de Chillán, la station Nevados de Chillán est la plus développée de nos cinq destinations, la plus connue et aussi celle qui a la réputation de recevoir le plus de neige. Le domaine skiable, qui s’étend sur 1 100 mètres de dénivelé, offre des pistes pour tous les goûts, dont la célèbre Tres Maria, une intermédiaire de 13 km de long. On y trouve aussi des bols, des demi-lunes naturelles moulées grâce aux coulées de lave et des possibilités de ski entre les arbres – ce qui est rare au Chili. Le terrain est bien desservi par de multiples remontées mécaniques (aucune n’est débrayable), qui permettent également d’accéder à du ski hors-piste de grande qualité en fonction des efforts physiques que le skieur désire investir. Sur le plan de l’hébergement, on compte trois hôtels au pied des pistes (très dispendieux), mais il y a aussi de nombreux endroits pour coucher dans la vallée Las Trancas – berceau de la culture ski bum au Chili – à seulement 10 km de la station. Par contre, le transport entre la vallée et la montagne reste encore à développer, alors à défaut d’avoir loué une voiture il faut utiliser son pouce…
Notre seconde destination fut Antuco, une petite station d’environ 400 mètres de dénivelé située au pied du volcan du même nom, dans le Parque Nacional Laguna del Laja, à environ 90 minutes de voiture de la ville de Los Ángeles. Pour s’y rendre, il faut faire une trentaine de kilomètres sur une route de montagne en terre et roches dans un décor enchanteur; heureusement, nous avons loué un 4×4, ce qui est recommandé pour ce type de destination. Lors de notre passage, cette station très rustique, qui compte sur deux pomas pour desservir son domaine skiable, était fermée par manque de neige. Un gros redoux la semaine avant notre arrivée aura eu raison de ce domaine skiable à basse altitude orienté plein soleil. Cela ne nous a pas empêchés d’aller tester le terrain en montant à pied, le tout étant encore skiable du haut de la dernière remontée mécanique jusqu’à la base. La particularité de l’endroit se remarque par des pistes délimitées naturellement grâce aux nombreux sillons formés par les coulées de lave. La station est d’ailleurs un point d’accès pour prendre d’assaut le volcan Antuco. Côté infrastructures, l’hébergement (cabanes de bois) et la restauration sont à leur plus simple expression, malgré le fait qu’on y trouve un casino… tout aussi rustique que le reste!
Le prochain arrêt, Corralco, se trouve dans la Reserva Nacional Malalcahuello à environ 125 km de la ville de Temuco. Cette station de ski, qui prend forme au pied du volcan Lonquimay, est en plein développement. La preuve : le tout nouvel hôtel 5 étoiles au pied des pistes ouvert en 2013, ainsi que l’ajout pour l’hiver 2014 du téléski Cumbre ayant permis de doubler le dénivelé de la station, qui s’étend maintenant sur près de 900 mètres. Le domaine skiable offre du ski pour tous les goûts et les niveaux, et c’est sans compter les multiples possibilités de descentes pour ceux qui veulent faire de la traverse ou monter à pied jusqu’au sommet du volcan. En plus des deux télésièges, les quatre remontées en surface permettent d’accéder à la montagne même les jours de grands vents. À la fin de la journée, il est possible de se laisser glisser jusqu’à la porte de l’hôtel, où piscine, séances de massage et bonne cuisine vous attendent pour la soirée. Outre cet hôtel, il y a plusieurs possibilités d’hébergement à plus ou moins 15 km des pistes, sans service de navettes toutefois.
Non loin de là se trouve la petite station Las Araucarias, située au pied du volcan Llaima dans le Parque Nacional Conguillio. Arrêt non planifié à l’origine, Las Araucarias s’est avéré pour nous un coup de cœur, surtout après avoir pris connaissance du terrain hors-piste intéressant auquel on peut facilement accéder à partir du domaine skiable. Parfait pour y passer une journée, cette station d’environ 400 mètres de dénivelé au caractère très rustique compte un télésiège et 2 téléskis, un chalet et un petit hôtel. L’accès s’y fait grâce à une route de terre d’environ 20 km qui sillonne à travers une végétation luxuriante, parmi laquelle on remarque des araucarias, un type d’arbres auxquels on doit le nom de la station. Toutefois, outre l’hôtel au pied des pistes, il n’y a pas d’hébergement à proximité.
La dernière étape de notre voyage se trouve à 800 kilomètres au sud de Santiago : il s’agit du centre de ski Pucón, célèbre parce qu’il se trouve au pied du volcan Villarrica, considéré comme l’un des plus actifs au Chili. La ville de Pucón, à quelques kilomètres de la montagne, est très différente par rapport à tout ce que nous avons vu en milieu urbain au Chili. On pourrait dire que c’est un Mont Tremblant chilien : une bourgade propre, riche, luxueuse et axée sur le tourisme. Malheureusement, on ne peut pas en dire autant de la station de ski, pourtant gérée par la municipalité. Si un passage dans le coin vaut le coup pour le superbe panorama, il ne faut pas s’attendre à grand-chose du centre de ski à moins que l’objectif soit de descendre bien relax sur des pistes faciles et intermédiaires, ou bien de carrément faire l’ascension du volcan. De fait, les deux télésièges permettant d’accéder au terrain expert sont fermés depuis plusieurs années alors que la station a orienté ses activités sur l’initiation au ski pour les jeunes chiliens.
Dépaysement et émerveillement
Malgré les aléas de Dame Nature avant notre départ, les conditions de ski furent satisfaisantes à toutes nos destinations. Loin des modèles de développement touristique, les stations visitées ont leur personnalité et leurs particularités, ce qui garantit des expériences de glisse unique à chaque endroit.
Mais au-delà du ski, le Chili a su nous surprendre, nous émerveiller, nous déstabiliser; que ce soit en empruntant une route de terre de 100 km perdue dans les Andes, en arrêtant acheter de délicieuses oranges dans une fruiterie à Antuco, en découvrant des bières de microbrasserie dans un petit bar de Los Ángeles, en arpentant les rues de Chillán peuplées de chiens errants, en voyant des cyclistes à contresens sur l’autoroute, en embarquant dans un bus rural bondé d’écoliers qui s’amusent de la présence de deux gringos, ou en ne sachant pas ce qu’on commandait au restaurant… Avoir vécu tout cela autour de notre passion pour le ski est sans contredit une richesse inestimable!