Je n’avais jamais pensé pouvoir écrire un article sur une époque révolue, mais combien importante de l’histoire du ski dans les Laurentides. Le ski de randonnée était à son apogée de 1936 à 1938. Tout le ski dont il est question dans cet article a été fait sans l’usage d’une remontée mécanique. La première remontée mécanique dans les Laurentides date du début des années 1930, mais cette invention a eu besoin d’améliorations avant de devenir réellement fonctionnelle. Les endroits pour skier avec une remontée mécanique ont donc commencé à devenir une réalité pour la majorité des skieurs seulement à la fin des années 1930. L’impact a été rapide et le ski alpin est devenu un important sport de glisse. Déjà en 1947, on rapportait que plusieurs pistes de randonnée étaient devenues moins praticables à cause d’une diminution de l’entretien et d’un moins grand nombre de panneaux indicateurs.

Raoul Clouthier a travaillé pendant 45 ans pour la compagnie de chemin de fer du Canadien Pacifique (C.P.R.), dont comme directeur des services français aux relations extérieures. Le train était dans les années 1930 le moyen de transport privilégié par les skieurs allant et se déplaçant dans les Laurentides. Pour le temps des Fêtes de 1938-1939, il est dit dans un journal que de 20 000 à 25 000 skieurs sont venus par train dans les Laurentides.

1936, février et mars

Probablement pour faciliter son travail et certainement par amour de la nature, Raoul Clouthier a décidé en 1936 de commencer à faire du ski. Heureusement pour la sauvegarde de l’histoire du ski, c’était un photographe amateur de talent. S’il m’a été possible de mettre en contexte ces photos, c’est beaucoup grâce aux commentaires que René, le fils aîné de Raoul, a ajouté dans les albums de photos.

En février 1936, Raoul est allé skier au Chalet Cochand avec sa famille et des amis. C’était l’endroit idéal pour devenir un meilleur skieur. Il a utilisé le train pour s’y rendre, en débarquant à Sainte-Adèle à la gare de Sainte-Marguerite Station, située pas très loin du Chalet Cochand.

La première photo montre Émile Cochand avec des skieuses, dont à sa droite Jeanne Clouthier, épouse de Raoul. Il est clair par la légèreté des vêtements que c’était une chaude journée de fin février. Puis on voit des skieuses devant l’hôtel. Sur la dernière photo, on constate que l’élégance a toujours été de mise.

En février et mars 1936, Raoul Clouthier a skié dans la grande région de Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson. Il est au centre sur ces 2 photos, sur la première avec ses fils Robert et René, et sur la 2e avec des amis. Les vêtements pour le ski étaient très différents de ceux d’aujourd’hui.

J’aime beaucoup ces photos de 4 frères. Pour les 2 plus jeunes, c’est vraiment ce qu’on appelle commencer à skier avec de l’équipement de base.

Hiver 1936-1937

Pour l’hiver 1936-1937, Raoul et des amis ont loué une maison de deux étages, située à Sainte-Adèle sur le 3e rang, près de la rivière aux Mulets. La maison avait 7 chambres à coucher, un salon et une grande cuisine qui servait aussi de salle à manger. L’endroit est facile à trouver vers le centre de cette carte de 1948. Le nom ‘aux Mulets’ ne vient pas de l’animal auquel on pense, mais il fait référence au mulet, un poisson qui était en abondance dans ce cours d’eau.

C’est une erreur de penser qu’autrefois les hivers étaient toujours parfaits pour le ski. Voici René Clouthier en ski le 5 décembre, avec de très bonnes conditions suite à 2 tempêtes de neige. Puis pendant plus d’un mois, il y a eu de la pluie et du verglas. La neige n’étant pas skiable, tout ce qu’on pouvait faire était de prendre des marches et profiter du grand air.

Cette maison était particulièrement bien située car on pouvait rapidement rejoindre les nombreuses pistes de ski, comme la Maribou, la Loup-Garou ou la célèbre ‘Maple Leaf’.

Quel plaisir de skier dans toute cette poudreuse. Avec les skis des années 1930, cela demandait une bonne technique pour garder l’équilibre.

Voici une photo en 1937 de Herman Smith-Johannsen ‘Jackrabbit’ alors qu’il avait 61 ans, donc avec encore un incroyable 50 ans devant lui. C’est entre autres avec le support du C.P.R. et de la Laurentian Resorts Association qu’il a développé et entretenu plusieurs des pistes de ski de randonnée dans les Laurentides. Sur l’autre photo, c’est son fils Robert qui était un très bon skieur. Celui-ci était membre de l’équipe de ski de l’université McGill. Comme plusieurs skieurs de cette époque, c’était un skieur polyvalent. Lors d’une compétition au lac Beauport, il a gagné les compétitions de saut, de cross-country et de slalom. En descente, il a terminé deuxième.

Pour profiter de la neige qui venait de tomber, un groupe de skieurs décida de se rendre à l’hôtel La Sapinière à Val-David, d’y coucher, et de revenir le lendemain. Mais le lendemain, Robert, le plus jeune fils de Raoul, trouva qu’il serait plus amusant de revenir à Sainte-Adèle en utilisant le traîneau à chiens de l’hôtel.

Avant le retour, René fit un peu de ‘ski-joëring’ avec le gros chien Terre-Neuve de l’hôtel. Sur la 2e photo, on voit à gauche Ernie Scroggie, puis René et Raoul Clouthier. Comme aujourd’hui, les meilleurs skieurs étaient athlétiques, tels que Ernie et René.

Je suis certain que Raoul Clouthier a fortement contribué à la réalisation d’une importante innovation de l’hiver 1936-1937. En effet pour la première fois, le Canadien Pacifique a publié et mis en vente en 2 sections, une carte très détaillée des Laurentides et préparée spécifiquement à l’intention des skieurs. La première section allait de la gare de Lesage à celle de Sainte-Agathe-des-Monts. La deuxième section allait d’Ivry-sur-le-Lac à Labelle. C’était tout un coup de publicité. Évidemment, la carte pouvait être consultée dans les gares.

Jeanne Clouthier a profité d’un beau dimanche de mars pour faire une balade en ski. L’auberge Chiriotto Farm, dont on voit le nom sur la petite affiche, était située à Sainte-Adèle. C’était un endroit pour dormir, mais aussi pour aller manger le midi dans son réputé restaurant. Après un bon repas, on avait l’énergie nécessaire pour continuer de skier.

Le dimanche 14 mars 1937 a été une journée importante dans la vie de Raoul Clouthier. C’est la journée où, en compagnie de son fils René, il voit à Val-Morin pour la première fois l’endroit qu’il achètera quelques années plus tard, et qui deviendra la station de ski Sun Valley Farm.

On ne fait pas plus authentique que cette cabane à sucre. La dernière excursion de ski de la saison sera le 11 avril. Comme aujourd’hui lors de notre dernière journée de ski, on aimait contempler le paysage.

Hiver 1937-1938

Raoul Clouthier et ses amis ont loué une maison, cette fois-ci au lac Millette à Sainte-Adèle. On constate que la neige était abondante, et que son fils René en profitait.

Le mont Fitzgerald, qui est situé près du centre de la carte de 1948, était un endroit très apprécié par les skieurs. Quelle belle région pour faire du ski de randonnée et y prendre une petite pause. La photo au début de l’article est aussi de cette région.

Ces 2 photos montrent Frank Scofield. Sur la 2e photo, celui-ci a perdu un ski, et malgré tout son talent d’équilibriste, il en résultera une magnifique chute. Au début des années 1940, il deviendra pendant de nombreuses années le directeur de l’école de ski de l’Hôtel le Chantecler.

On attachait beaucoup d’importance au repas du midi, et ce n’est pas le poids de l’équipement pour cuisiner qui causait un problème.

Ces 3 lacs des Laurentides ne sont pas très loin l’un de l’autre. La première photo a été faite près du lac Didi, la seconde montre la maison d’un fermier près du lac du Gore, et la dernière est un ‘glacier’ au lac Paquin.

La ville de Sainte-Adèle a réalisé un rêve le 11 juin 2021 avec l’ouverture officielle du « Parc du Mont Loup-Garou », d’une superficie de 788 acres. À 498 m d’altitude, le sommet du Mont Loup-Garou est le plus élevé de la MRC des Pays-d’en-Haut.

Au début de mars 1938, Raoul Clouthier et son groupe ont skié au mont Loup-Garou. Évidemment, on devait commencer par monter avant de descendre.

En montant, les skieurs profitaient de beaux points de vue. On disait qu’avec un ciel clair, on pouvait voir Montréal. Il y avait une cabane au sommet.

Puis c’était le plaisir de la descente.

Il est normal pour des sportifs de se fixer des objectifs et de vouloir parfois sortir de leur zone de confort. Après avoir longtemps discuté et planifié de se rendre en ski de Sainte-Agathe-des-Monts à Montebello, finalement à la mi-mars 1938, le temps était venu de partir à l’aventure. On avait planifié de parcourir en 4 jours la centaine de milles (160 km) entre ces 2 villes. Grâce à l’information disponible et à des recherches, il m’a été possible de reconstituer le trajet qui a été parcouru. La destination finale était le Seigniory Club à Montebello.

Sur la première photo, on retrouve de droite à gauche, Raoul Clouthier, son fils René, Ernest Scroggie et Tom Norton. Chacun portait un sac à dos d’une quarantaine de livres (18 kilos). Au besoin, on devait pouvoir coucher à l’extérieur. Le temps était très sombre le premier jour, de sorte que ces 2 photos faites au moment du départ sont les seules qui existent de cette journée.     

Pour la première nuit, ils ont eu la chance d’être accueillis dans une résidence privée située près du lac des Seize-Îles. Le lendemain matin, le temps était doux, comme on le constate sur la photo suivante, faite lors de la traversée du lac. Ce cheval de 13 ans était toujours très en forme.

La chaleur du soleil avait rendu la neige collante et le ski plus difficile. Le côté positif de cette chaleur est que le repas du midi fût très agréable.

En mars, un ciel bleu le jour veut souvent dire que la nuit sera froide. Heureusement pour ces aventuriers, le 2e soir, ils ont réussi à coucher au même endroit que les travailleurs d’une mine. Le 3e jour, il faisait toujours soleil mais froid tôt le matin. En skiant les terrains plats de de la région d’Harrington, ils ont vu une école régionale et y ont pris une pause.

Puis est venu le moment de laisser momentanément la civilisation et de traverser la rivière Rouge. On constate que ce pont était peu utilisé en hiver. Il ne faut pas se surprendre si l’usage d’une carte et d’une boussole était essentiel pour ne pas se perdre.

Après être sortis des bois, ils ont traversé la pointe sud du grand lac Commandant à l’endroit nommé Cameron Landing. C’était un endroit assez isolé, avec très peu de maisons.

Vers l’heure du midi, ils ont vu un petit chalet avec une note typique du nord à l’époque :
‘ Vous êtes les bienvenus. Veuillez laisser l’endroit comme vous l’avez trouvé.’ C’est exactement ce qu’ils ont fait. Pouvoir prendre un repas à l’intérieur a été très plaisant.

En après-midi, lors d’une petite pose, il n’y a rien de plus amusant que de manger du chocolat.

Le Seigniory Club était un club privé dont l’édifice principal était situé à Montebello. Le club possédait un très grand territoire pour pouvoir offrir la pêche et la chasse à ses membres. Je ne sais pas si on avait planifié se retrouver à la pisciculture du club vers la fin de la 3e journée, mais c’est très possible. Comme une personne du groupe se devait d’être membre du club, je ne suis pas surpris que le responsable de l’endroit leur a généreusement permis d’utiliser des lits qui s’y trouvaient. Cette personne avait soigné un jeune chevreuil et celui-ci était devenu passablement apprivoisé.

La 4e et dernière journée a été idéale car ensoleillé et ni trop froide, ni trop chaude. Même si on était sorti de la forêt du Seigniory Club, il y avait encore une certaine distance à parcourir pour se rendre à destination.

À l’heure du dernier repas avant la fin de cette longue randonnée, on n’a eu aucune hésitation à boire l’eau d’un ruisseau. On ne réalise plus aujourd’hui combien dans les années 1930, les chevaux étaient essentiels dans la vie de tous les jours.

La première photo montre Valley Farm, un endroit appartenant au Seigniory Club et où se tenaient des compétitions de ski comme le slalom. Même après seulement 4 jours, on remarquera que leurs visages étaient foncés comme s’ils avaient été dans le Sud.

Que ces 4 hommes devaient être contents d’avoir réussi leur randonnée en ski de 4 jours. Aujourd’hui ce n’est plus un club privé et c’est connu sous le nom de Fairmont Le Château Montebello.

C’est ainsi que se termine ce voyage dans le temps. Je dois souligner un autre fait d’armes de Raoul Clouthier, soit d’avoir skié au mont Tremblant. Le mont Tremblant a commencé à être connu dans les années 1930 à cause du ski. L’endroit deviendra officiellement une station de ski en février 1939 avec la mise en service de la première remontée mécanique. Je prévois publier en 2025 un article dont le titre sera : ‘Le ski au mont Tremblant avant les remontées mécaniques’.

Il m’a été possible d’écrire cet article grâce à la collaboration de Pierre Clouthier, petit-fils de Raoul Clouthier, ainsi que celle de la société Histoire et Archives Laurentides. La section numérique de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) a été la source de certaines informations. La carte de 1948 des Laurentides vient du site Internet de Plein Air Sainte-Adèle.

Cet article fait partie de la section sur les stations de ski du Québec qui sont aujourd’hui fermées. Comme la grande difficulté d’un tel travail est de trouver des photos et de l’information sur ces stations, si vous détenez des perles concernant une station oubliée ou fermée et que vous souhaitez les partager avec l’auteur, vous êtes invité à communiquer avec lui par courriel afin de lui permettre d’ajouter de l’information à un dossier existant, ou d’inclure une autre station à cette section à l’adresse suivante: stations.fermees.qc@gmail.com

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Jacques Poulin
Skieur depuis plus de 50 ans, il a toujours aimé découvrir de nouvelles stations, ayant skié dans plus de 100 stations au Québec, dans l’Ouest canadien et en Nouvelle-Angleterre. Aujourd’hui, il préfère descendre en ligne de pente les pistes damées, mais il ne dira pas non à un peu de poudreuse!