En 2009, les Boliviens ont perdu le seul centre de ski de leur pays, qui se trouvait sur le glacier de Chacaltaya près de la capitale La Paz. En 2014, ce sont les Péruviens qui ont perdu leur lieu de prédilection pour pratiquer les sports de glisse, soit le glacier de Pasturori. La disparition de ces deux glaciers dans les Andes boliviennes et péruviennes est un signe indéniable du changement climatique, avec la conséquence de priver les populations de lieux accessibles pour pratiquer le ski ou la planche à neige.
Si les Andes souffrent d’un réchauffement, le phénomène n’est pas concentré uniquement là-bas : plus près de nous, les glaciers de l’Ouest canadien régressent également. C’est ce qu’observe sur le terrain le chercheur Christophe Kinnard, glaciologue et professeur au Département des sciences de l’environnement de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
La masse des glaciers comme indice du réchauffement
« L’étude des glaciers est capitale pour comprendre les changements du climat. Ils sont les premiers à témoigner d’un réchauffement », lance le chercheur. Et ce «témoignage» se transmet par la mesure du bilan de masse annuel, qui permet aux scientifiques de constater l’équilibre entre les gains (accumulation de neige en hiver) et les pertes (fonte de la neige et de glace au printemps et en été) que subit un glacier au cours d’une année.
S’intéressant plus particulièrement aux glaciers de montagne, notamment dans les Rocheuses canadiennes et dans les Andes du nord du Chili, Christophe Kinnard et son équipe récoltent des données sur le terrain ainsi qu’en se référant à des images satellites et à des photos aériennes. Ils produisent également des relevés topographiques des surfaces glaciaires à l’aide d’instruments à la fine pointe de la technologie (drones, caméras, lasers, etc.), qui permettent la collecte de nombreux renseignements (couvert neigeux, température, humidité, végétation, type de sol, etc.) liés à l’état des glaciers.
« De cette façon, nous pouvons concrètement voir et analyser les changements dans l’étendue et le volume des glaciers. Les modèles de bilans de masse que nous développons nous permettent d’estimer combien d’eau un glacier peut accumuler et perdre au cours d’une année en réponses aux changements du climat », précise-t-il.
L’isotherme zéro degré
La régression des glaciers est attribuable à plusieurs facteurs climatiques, mais un phénomène nous intéresse particulièrement puisque son impact se fait sentir sur le manteau neigeux, peu importe le type de terrain montagneux. Il s’agit de «l’isotherme zéro degré», une mesure qui représente l’altitude minimale à laquelle la température atteint la valeur de zéro degré Celsius dans l’atmosphère au sein d’une région spécifique et durant un intervalle de temps donné.
Il s’agit en quelque sorte d’une frontière fictive entre deux masses d’air, de la ligne au-dessus de laquelle les précipitations vont tomber sous forme de neige. Avec les changements climatiques, on remarque que l’isotherme moyen prend de l’altitude, ce qui génère évidemment un impact sur la fonte d’un glacier, mais également sur le type de précipitations que reçoit une région.
La perte des glaciers de Chacaltaya en Bolivie et de Pasturori au Pérou, où les gens pratiquaient les sports de glisse, serait donc en partie attribuable au fait que l’isotherme zéro aurait remonté en altitude. Comme il s’agit de deux glaciers «de plateau» (peu de dénivelé entre la base et le sommet), une remontée en altitude, même minime, de l’isotherme zéro a comme conséquence que ceux-ci ne peuvent compenser la perte de leur masse lors de la fonte, puisqu’ils se retrouvent en dessous de la zone d’accumulation de neige.
« Les glaciers se retrouvent donc avec un bilan de masse négatif entre les pertes dues à la fonte normale et la capacité à pallier à cette fonte grâce à ce qui est gagné en précipitations neigeuses. L’équilibre est donc rompu avec comme conséquence, à terme, que le glacier ne se renouvellera pas », résume Christophe Kinnard, ajoutant au passage qu’il ne faut pas oublier que les glaciers sont des réservoirs d’eau douce pour les populations et qu’ils contribuent au cycle hydrologique de la planète.
L’Ouest canadien
Le même pattern s’observe dans les Rocheuses canadiennes, évidemment avec certaines nuances compte tenu des différences entre les climats sud-américains et canadiens. « Et, comme partout ailleurs, on remarque dans l’Ouest canadien une tendance au rétrécissement des glaciers, avec une prédominance plus forte dans les chaînes intérieures et dans les massifs des rocheuses », mentionne-t-il.
Une partie de ses recherches s’effectue sur le glacier Saskatchewan, le plus grand exutoire débouchant du champ de glace Columbia dans les massifs des Rocheuses, du côté de l’Alberta. « On observe une décroissance continue du glacier depuis les années 1980. Et si l’on extrapole cette tendance à la déglaciation, on peut dire que d’ici 2100, les glaciers de cette région auront perdu 70 % de la superficie qu’ils avaient en 2005. On peut donc penser qu’il y restera très peu de superficie glaciaire au tournant du XXIIe siècle », prévoit le glaciologue.
Parlant des Rocheuses, lorsqu’on lui demande si le projet du Jumbo Glacier Resort, près d’Invermere en Colombie-Britannique, est viable dans ce contexte, M. Kinnard répond ceci après avoir consulté les modèles : « Même avec le scénario le plus optimiste, le domaine skiable sera réduit d’ici 2050 et encore plus d’ici 2100. Et dans le scénario le plus pessimiste, on peut se demander s’il y aura encore du ski là-bas. »
Et pour le Québec?
Comme mentionné, l’isotherme zéro degré n’est pas fixe : il varie en fonction des conditions climatiques et des différentes régions. Le Québec ne comporte pas de glaciers de montagne, mais un constat souligné dans cet article nous intéresse particulièrement puisqu’il démontre un impact sur les précipitations neigeuses : il s’agit du lien entre les changements climatiques et la remontée en altitude de l’isotherme zéro degré. Toutefois, Christophe Kinnard est clair : « Un degré de réchauffement, cela fait une grosse différence au Québec pour la saison de ski : il n’y a pas de hautes altitudes et, de plus, on remarque que l’isotherme remonte en latitude, vers le nord. »