Hausse des épisodes de pluie, capacité d’enneigement diminuée, saisons écourtées et entretien des pistes plus coûteux. Le verdict est sans appel: les stations de ski du Québec n’échapperont pas aux changements climatiques. Pour survivre, elles devront s’adapter.

«Si on est dans l’attente et qu’on ne fait rien, on va être pris par surprise. C’est pour ça qu’il faut agir.» Stéphanie Bleau est coordonnatrice du programme Tourisme chez Ouranos, un consortium qui rassemble des experts sur la climatologie régionale et l’adaptation aux changements climatiques. «Le grand défi du tourisme, c’est la vision climatique à long terme. La compréhension des impacts sur l’industrie est difficile. Il faut prendre le temps de le faire. Une fois que c’est fait, on peut passer à un autre niveau», poursuit-elle, à propos des stratégies d’adaptation que les entreprises touristiques devront inévitablement mettre en place.

Une prise de conscience provinciale

Cette compréhension commence seulement à poindre. «Le tourisme et les changements climatiques, c’est un domaine qui est assez jeune, même à l’international, on est une poignée de chercheurs», confie Mme Bleau. Le Québec n’est pas à la traîne pour autant.  La Chaire de tourisme Transat de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et Ouranos ont publié en cours d’année 2018 un «Diagnostic [quatre saisons] des risques et opportunités liés aux changements climatiques pour le secteur touristique des régions de Québec et de Charlevoix».

Pourquoi ces deux régions? Notamment parce que ce sont des destinations hivernales de choix qui ont généré en 2015-2016 1,3 million de visites sur les 5,2 millions jours-ski de la province. On y retrouve les stations Mont-Sainte-Anne, Stoneham, Le Relais, Le Massif et Mont-Grand-Fonds. Québec-Charlevoix est «l’un des trois plus grands marchés du ski au Québec avec les régions des Laurentides et des Cantons-de-l’Est», affirme l’étude.

Premier constat qui n’a rien pour plaire aux amis skieurs et planchistes: l’hiver est la saison la plus à risque de subir les contrecoups des changements climatiques. Des risques qui prennent naissance dès l’automne, période durant laquelle les stations s’échinent à fabriquer de la neige artificielle. Ce que Mme Bleau considère comme «la solution ultime depuis 40 ans» pour prolonger les saisons pourrait devenir de moins en moins efficace.

La cause réside dans une hausse des températures jumelée à une hausse probable des précipitations sous forme de pluie lors des périodes de transition entre les saisons, par exemple de la mi-novembre à la mi-décembre. En conséquence, «les températures favorables à la fabrication de neige seront moins fréquentes», indique l’équipe d’experts dans son rapport.

La tendance à long terme pour les deux régions en hiver est la même, quoiqu’elle pourrait connaître des variations «minimes» entre les secteurs situés dans les terres et en altitude comparativement à ceux situés en bordure du fleuve. Les secteurs en altitude continueront à recevoir de la «neige en abondance». La Réserve faunique des Laurentides pourrait même en recevoir plus qu’actuellement. On n’y trouve malheureusement aucune station de ski.

L’hiver, le problème réside surtout dans la variabilité des conditions à cause d’une augmentation possible des redoux en décembre et mars et d’une hausse globale des températures. À titre d’exemple, les activités hivernales pourraient être plus difficilement praticables pendant les semaines de relâche scolaire en mars. Seule bonne nouvelle, il devrait y avoir moins d’épisodes de froid intense, surtout en janvier et février.

Ces conditions futures, dont certaines sont déjà amorcées, créent une pression économique sur les stations de ski. «L’augmentation des températures ou encore des redoux en mars pourrait provoquer une dégradation de la qualité des pistes et donc une augmentation des coûts d’entretien», sans compter que la clientèle risque d’être moins au rendez-vous ou de changer ses comportements avec des réservations de «dernière minute» en raison de l’incertitude du climat.

La nordicité en péril

Le diagnostic posé pour Québec-Charlevoix peut paraître sombre. Mais comme dit le proverbe «Quand on se compare, on se console». En effet, «la saison hivernale demeurera un avantage concurrentiel intéressant pour les régions de Québec et de Charlevoix comparativement au Nord-Est des États-Unis, à l’Ontario ou encore au sud du Québec», notent les experts. Des régions qui connaîtront des changements encore plus marqués. «Il y a des inégalités régionales. Le climat ne se réchauffe pas pareil partout. Par exemple, on risque de recevoir plus de pluie dans le sud», précise Mme Bleau.

Les deux régions à l’étude sont une photographie de ce qui se passe également ailleurs à des degrés variables. L’intensité des phénomènes prédits dépend aussi de l’action ou de l’inaction des gouvernements à contrer les changements climatiques. Cette étude ne constitue pas une fin, mais un début. Identifier les impacts des changements climatiques sur les activités saisonnières et mieux comprendre les craintes et les observations des gens de l’industrie vise à mieux se préparer. Surtout que le degré de risque est encore aujourd’hui difficilement qualifiable à long terme.

Pour Mme Bleau, le seul choix qui s’impose à l’industrie touristique est d’embarquer dans le train. L’hiver écope plus que les autres saisons et le ski alpin est un produit phare, d’où l’importance de prendre les commandes. «Une fois qu’on a identifié les impacts, on devra passer à une autre étape, trouver des solutions. Nous ne sommes pas encore à redéfinir les produits d’affaires. On est plutôt à diversifier les produits pour combler les creux d’affaires pendant la saison d’exploitation.» C’est d’ailleurs pourquoi le titre du diagnostic accole «opportunités» à «risques».

Ces opportunités ne se saisissent pas sans relever certains défis. Particulièrement celui de la capacité financière de chaque entreprise à s’adapter aux changements. «L’industrie du ski est compliquée en termes de modèle économique. Ils font énormément d’efforts, mais ça coûte cher. On fait de la neige artificielle à 25 Cº, mais à quel coût, illustre la spécialiste, qui demeure, malgré tout, optimiste. Il n’y a pas une recette, mais plusieurs recettes. Il y aura toujours du ski au Québec.»

Article précédentRégression des glaciers: un indicateur indéniable du réchauffement
Article suivantChaud devant: ouvrir les yeux sur les changements climatiques
"Bosses, sous-bois, poudreuse." L’hiver venu, Jean-François répète ces mots comme un mantra. Il aime chasser la tempête pour profiter de conditions optimales. Son plaisir est doublé lorsqu’il dévale les pentes entre amis ou rencontre les “habitués” d’une station, question de découvrir des secteurs moins fréquentés.