Alors que l’incident de l’Étoile filante du Mont Sainte-Anne continue de faire couler de l’encre, l’Association des stations de ski du Québec se veut rassurante auprès de la clientèle skieuse de la province: les adeptes de la glisse sont en sécurité dans les remontées mécaniques du Québec. Pour le grand public, cet événement largement médiatisé est une très mauvais entrée en matière concernant le ski alpin, et pour les skieurs les plus craintifs, découvrir les coulisses des opérations des remontées mécaniques avec des grands titres alarmistes contribue à augmenter le niveau d’inquiétude. Cet article se veut donc une aide afin de démystifier certains volets relatifs aux remontées mécaniques empruntées quotidiennement par les skieurs.
Le parc de remontées mécaniques au Québec
Au Québec, deux grandes catégories de remontées mécaniques emmènent les skieurs et planchistes du pied au sommet d’une station: les remontées terrestres (les « tapis magiques » des secteurs débutants ainsi que les arbalètes, aussi connues sous le nom de « t-bar »), et les remontées aériennes (télésièges et télécabines). Les stations de ski de la province comptent au total 320 remontées mécaniques, dont 162 terrestres, et 158 aériennes. De ce nombre, cinq sont des télécabines, situées dans les stations de Tremblant, Bromont montagne d’expériences, le Mont Orford, le Massif de Charlevoix, et le Mont Sainte-Anne. (Source: Association des stations de ski du Québec)
L’opération des remontées mécaniques, qu’elles soient terrestres ou aériennes, est régie par la norme canadienne CSA Z98; cette norme est élaborée et publiée par le Groupe CSA, qui se charge aussi des mises à jour au fil des ans (la dernière date du 30 avril 2020). Au Québec, l’application de cette norme est assurée par la Régie du bâtiment du Québec. Extrait de la présentation de CSA Z98: « Cette norme établit les exigences relatives à la conception, à la fabrication, à la construction, à la modification, au fonctionnement, à la vérification, à la mise à l’essai et à l’entretien des remontées mécaniques et des convoyeurs. » Sur le site de la RBQ, on peut lire: « Les remontées mécaniques et les convoyeurs sont assujettis au chapitre VII du Code de construction et au chapitre V du Code de sécurité. » C’est donc ce qui explique pourquoi la RBQ est responsable de cadenasser une remontée mécanique pour en forcer l’arrêt jusqu’à ce que tous les avis de non-conformité soient résolus.
Concrètement, tout ce que ce charabia de codes et de chiffres signifie, c’est que dès qu’une station de ski souhaite installer, entretenir ou mettre à jour une remontée mécanique, elle doit le faire suivant les normes, et qu’aucune station n’a l’autorisation de démarrer une remontée avant qu’un ingénieur certifié par la RBQ n’ait apposé son sceau, suivant moult tests et inspections.
Opérations quotidiennes: la responsabilité des stations
Chaque jour, avant le démarrage d’une remontée mécanique, une inspection visuelle doit être effectuée sur toute la ligne: gare de départ, d’arrivée, motrices, trains de roues, pylônes, sièges, télécabines, etc. Cette liste est adaptée à chaque remontée mécanique et est dictée d’abord par le fabricant de la remontée, puis validée par la RBQ. Les employés des remontées mécaniques reçoivent une formation élaborée (on y reviendra) qui inclut un large volet concernant les vérifications et inspections quotidiennes.
L’âge des remontées mécaniques change la liste des vérifications à effectuer puisque les plus technologiques comportent une multitude de capteurs envoyant des signaux aux consoles des opérateurs de la remontée. Si tous les voyants sont au vert, la remontée peut être démarrée. En cas d’erreur, qu’elle soit signalée par un capteur sur une console ou par l’inspection visuelle d’un employé, la remontée doit être immobilisée et le problème doit être résolu avant un redémarrage.
Toute cette routine doit être effectuée quotidiennement, avant l’embarquement des premiers passagers. De plus, les employés de la station doivent maintenir un registre de toutes les actions, vérifications et incidents constatés au fil des opérations. Ce fameux « log book » doit être tenu à jour et mis à la disposition des inspecteurs et ingénieurs chargés de vérifier les opérations en station.
En plus des inspections quotidiennes, les remontées mécaniques sont soumises à des tests rigoureux après un nombre donné d’heures de fonctionnement, ainsi qu’annuellement. Ces vérifications incluent entre autres le fameux test de charge, de freinage d’urgence, ainsi que des essais non-destructifs sur un certain pourcentage de composantes. On peut estimer que sur une période de cinq ans, l’ensemble des composantes d’une remontée mécanique a subi une vérification poussée et que chaque pièce ou situation problématique a été identifiée et réparée, corrigée ou remplacée.
La formation des employés
Il est également de la responsabilité des stations de ski (propriétaire exploitant, ou exploitant) de s’assurer du niveau de formation suffisant des employés appelés à travailler sur les remontées mécaniques. Le domaine de la mécanique industrielle étant très vaste, des spécialisations sont nécessaires pour les employés occupant des rôles-clé. Une structure hiérarchique classique est utilisée: un chef aura sous sa gouverne un ou plusieurs apprentis, ainsi que des préposés.
Mathieu Aubin, chef de service gestion de risques pour l’ASSQ, précise: « Le certificat de qualification en mécanique de remontées mécaniques (carte de compétences) d’Emploi-Québec est obligatoire pour toute personne qui effectue des travaux d’installation, d’entretien, de réparation, de réfection ou de modification sur des systèmes de remontées mécaniques. Les apprenti-mécaniciens doivent compléter 2400 heures avant d’être éligibles à l’examen. Ils doivent ensuite réussir l’examen de qualification. De plus, pour une multitude de travaux, notamment en ce qui concerne les modifications et les rénovations, une licence de la RBQ de sous-catégorie spécialisés est requise. »
Et la clientèle dans tout ça?
En réalité, lorsqu’un skieur achète un billet de ski (ou un abonnement de saison), malgré les petits caractères imprimés au dos du billet, la station demeure responsable de la sécurité du skieur. Un contrat est conclu par chaque transaction d’achat de billet, qui lie la station à son client. Ainsi, même si le skieur est « conscient des risques inhérents à la pratique d’un sport de glisse », ces risques n’incluent pas un incident comme celui qui a causé la fermeture de la télécabine l’Étoile filante en mars 2020. Les « risques inhérents » sont donc liés à la simple activité physique de faire du ski alpin, non pas à l’exploitation d’une remontée mécanique. En tant que client qui a « signé » un contrat avec la station, le skieur prend donc pour acquis que la station remplira son devoir d’assurer sa sécurité, que ce soit dans les remontées mécaniques, en piste ou même dans les toilettes de l’établissement.
Si lors de votre prochaine journée de ski vous cherchez un signe visuel de conformité d’une remontée mécanique, vous n’en verrez pas. D’après les lectures et recherches effectuées, il n’existerait aucune disposition obligeant un exploitant à afficher un certificat de validité/conformité ou la date de la dernière inspection à la vue du public. Ces informations relèvent des opérations internes de chaque station de ski.
Les évacuations dans les remontées mécaniques
Pourquoi doit-on parfois évacuer une remontée mécanique? Bien sûr, la question se pose surtout pour les remontées aériennes. Évacuer une remontée terrestre doit quand même se faire en suivant les pictogrammes en place tout au long de la ligne, mais la logistique est plutôt simple. Il faut savoir qu’il existe deux types d’évacuations: par moteur auxiliaire, ou manuelle. Une évacuation est déclarée nécessaire lorsque le moteur principal de la remontée mécanique est mis à l’arrêt et que la remontée est dans l’incapacité de redémarrer. Par exemple, lors d’une coupure de courant, on procèdera à l’évacuation de la remontée en utilisant le moteur auxiliaire. Autre exemple: si l’arrêt du moteur principal est provoqué par le déraillement du câble tracteur, on procèdera à une évacuation manuelle, puisqu’il n’est pas sécuritaire de continuer les opérations de roulement du câble.
Dans un cas comme dans l’autre, l’équipe de patrouille de chaque station est formée pour ces interventions et doit effectuer des répétitions avant le début de la saison et ce, pour tous les types d’évacuation possibles. Un rafraichissement sur une base annuelle est nécessaire pour les patrouilleurs, peu importe l’organisme qui délivre leur certification en premiers soins. C’est également le moment de la vérification de l’équipement prévu pour les évacuations afin de s’assurer que les ensembles sont complets et que tout le matériel est en bon état. Une pièce d’équipement qui arrive à la fin de sa vie utile doit être remplacée. Les évacuations manuelles sont évidemment les plus spectaculaires puisqu’elles impliquent de descendre chaque skieur à l’aide d’un système apparenté à l’escalade en rappel. Ces systèmes sont tous uniques, adaptés à chaque remontée, et font également l’objet d’une certification. Certaines stations ont en plus une entente avec les équipes d’intervention d’urgence locales (premiers répondants, pompiers) afin de faciliter le processus d’évacuation et de prise en charge de la clientèle.
Ci-bas, des patrouilleurs pratiquent les manoeuvres d’évacuation de la télécabine du Massif de Charlevoix. Photos Pierre Carbonneau.
Le cas du Mont Sainte-Anne: le mouton noir de la province
En date du vendredi 16 décembre 2022, la Régie du bâtiment du Québec a ordonné l’arrêt complet des remontées mécaniques de la station. Dans une ordonnance rendue publique (lien pdf), la RBQ précise que toutes les remontées débrayables (NDLR: dont les chaises ou cabines se détachent du câble tracteur dans les gares d’arrivée et départ) de la station devront faire l’objet de vérifications et d’ajustements pointus en lien avec un bon nombre d’incidents répertoriés au fil des mois et années passés.
Le document indique également: « Suivant ces interventions et constats, la Régie estime qu’il y a un danger sérieux pour la sécurité et l’intégrité physique des personnes utilisant ou fréquentant le voisinage de ces équipements destinés à l’usage du public. La défaillance technique et la réaction inappropriée de l’exploitant qui s’ensuivit, dont les conséquences auraient pu être fatales, permettent de craindre une répétition d’un tel incident. La Régie considère que les risques de survenance d’un accident, de quelque nature qu’il soit, sont élevés, et que les conséquences d’un tel évènement seraient graves. Afin d’éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé aux personnes ou à leurs biens, la Régie peut intervenir de façon immédiate conformément au deuxième alinéa de l’article 5 de la Loi sur la justice administrative (RLRQ, c. J-3). »
La pensée ZoneSki
Ce type de document indique en toute transparence ce qui ne tourne pas rond dans la station du Mont Sainte-Anne, au sens propre et au sens figuré. Pour que la RBQ rende son ordonnance publique et force l’arrêt d’une station majeure de la province, c’est parce que les limites ont largement été outrepassées par l’exploitant. L’erreur à ne pas faire est de généraliser à toute la province!
Les stations de ski sont majoritairement possédées et exploitées par des gens d’ici, qu’il s’agisse d’un propriétaire privé ou d’une entité municipale. Ces stations, peu importe leur taille, sont un moteur socio-économique vibrant pour leur région immédiate et procurent plusieurs emplois, souvent à l’année, pour contribuer à la santé économique d’un vaste territoire. La sécurité est au coeur des préoccupations des stations, qu’elle concerne les employés ou la clientèle. Il faut donc éviter de tomber dans le piège de diaboliser tous les exploitants.
Sources:
L’Association des stations de ski du Québec
Régie du bâtiment du Québec
Groupe CSA, norme Z98
Conseil Canadien des Normes
Si le sujet vous passionne, visitez le richissime site de Remontées-mécaniques.net, qui comporte une énorme section dédiées aux remontées mécaniques dans les stations de ski du Québec.