Avec l’ouverture de certaines stations de ski dans l’est du continent et les récents épisodes de gel dans plusieurs régions de la Belle Province, il n’en faut pas plus pour exciter les fanatiques parmi nous, se voyant déjà dévaler les côtes du Mont St-Sauveur. Aujourd’hui, il serait quasi impensable d’imaginer une saison de ski dans l’est de l’Amérique sans le canon à neige.  Pourtant, cette technologie relativement nouvelle était presque inexistante si on recule d’une génération. 

Le premier canon à neige a vu le jour en mars 1950,  grâce à Art Hunt, Dave Richey et Wayne Pierce. L’origine exacte de l’idée semble varier d’une source à l’autre mais chose certaine, l’idée de sauver une saison de ski était présente car le trio d’inventeurs était à l’époque partenaires d’une entreprise fabriquant des skis, dont les ventes n’étaient pas au plus fort à cause du manque de neige. Il fallut cependant attendre près de deux ans pour voir cette invention mise à profit pour les skieurs dans une application pratique.

Le défunt centre de ski Grossinger’s Catskill Resort dans l’état de New York fut le premier endroit à utiliser cette technologie. Ce n’est toutefois que dans les années 70 que l’utilisation des canons à neige sur les pistes s’est démocratisée. Depuis, la recherche scientifique a permis d’améliorer grandement l’efficacité du principe de base de cette technologie qui nous permet de profiter d’une saison de glisse beaucoup plus longue que celle du temps de nos parents, lesquels étaient dépendants des caprices de la météo pour pratiquer leur sport favori. Certains d’entre vous se rappellent sûrement la saison record du centre de ski de Killington en 1996-1997, où on avait été en mesure de faire des virages sur la neige (avec remontées mécaniques) du 4 octobre au 22 juin. Peu de gens aurait cru cet exploit possible lors de l’invention du premier canon à neige.

Le principe d’un canon à neige n’est pas sorcier : la recette consiste à mélanger de l’eau à de l’air comprimé afin d’en atomiser (réduire l’eau en particules extrêmement fines) l’eau. C’est connu, l’eau se transforme en glace à partir d’une température avoisinant 0°C. 

Mais à partir de quelle température peut-on fabriquer de la neige?  Contrairement à la croyance populaire, l’eau pure ne gèle pas systématiquement lorsque votre thermomètre atteint 0°C. Un thermomètre domestique nous montre habituellement la température « sèche »;  l’eau a besoin d’environ -2°C au thermomètre « humide » pour se cristalliser et se transformer à l’état solide. La température d’un thermomètre « humide » prend en considération l’humidité relative contenue dans l’air ambiant et l’abaissement de température qui sera généré par l’évaporation d’eau. Bien que ce genre de condition est peu fréquent au Québec, si la température « sèche » de votre thermomètre indique 4°C  et que l’humidité relative extérieure est de 20%, la température « humide » serait de -2°C. Il serait donc théoriquement possible de fabriquer de la neige en dessus du point de congélation. Je vous entends déjà me demander : pourquoi le mont St-Sauveur ne part-il pas ses canons plus tôt?  La réponse est simple : dans toutes les transformations, il y a des pertes et le transfert d’énergie (dégagement de chaleur dans la gouttelette d’eau et absorption de chaleur par l’atmosphère) doit être assez long pour permettre la création de neige.

Revenons à la base du principe de la neige de culture, c’est-à-dire du mélange air-eau (oui, oui, vous avez bien lu);  on appelle à tort « neige artificielle »,  la neige créée par les canons, puisque cette dernière, résultant de ce procédé, n’a rien d’artificiel. Afin de créer une gouttelette fine, de l’air sous pression est généralement injecté à l’intérieur d’une chambre de mélange afin d’en fractionner les particules d’eau présentes en plus petites particules. Plus on injecte d’air, plus la particule devient minuscule. La quantité d’air comprimé nécessaire afin de produire de la neige est donc inversement proportionnelle à la température extérieure. Produire de la neige à des températures marginales d’enneigement (au-dessus de -7°C humide) est extrêmement coûteux et la qualité, ainsi que la quantité de neige produite,  sont grandement affectées.

De plus, lors des débuts de saisons, un obstacle important ralentit les ardeurs des prétendants à la course pour  la première ouverture de pistes skiables dans l’est du continent : il s’agit de la température de l’eau. L’eau utilisée dans la production de neige provient habituellement d’un lac artificiel situé à proximité des pistes. La température de cette eau varie donc en fonction de la température extérieure. En début de saison, lorsque que les températures moyennes journalières sont au-dessus du point de congélation, la température de l’eau avoisine les 7-8°C. Le transfert de chaleur nécessaire pour faire baisser cette température sous le point de congélation est plus grand qu’en période d’hiver où l’eau du lac sous sa couche de glace se situe aux alentours de 2-3°C.

Heureusement les avancées technologiques des dernières années sont venues à la rescousse des fervents des sports de glisse; les chercheurs ont trouvé un moyen plutôt ingénieux pour donner un petit coup de pouce aux stations de ski. Il est maintenant possible d’ajouter un additif du nom de SnoMax (produit à base d’une bactérie, Pseudomonas syringae, naturellement présente dans certains végétaux) dans l’eau; ce produit donne la propriété de faire geler l’eau à des températures légèrement au-dessus de 0°C. Bien qu’aucune étude sérieuse démontre son coté néfaste sur l’environnement, cet additif est proscrit en France depuis quelques années.

Maintenant regardons de plus près les différents types de canons à neige.

Canons conventionnels  (tee gun):

Encore très répandu sur les pentes, ce type de canon qu’on voyait partout dans les années 80 et 90 est le  moins coûteux, mais aussi le moins efficace de tous. De plus en plus portés à disparaître pour faire place à des modèles plus performants, ces canons légers et compacts sont les plus simples à transporter sur la montagne et ne requièrent que de l’eau et de l’air comprimé pour fonctionner.

Canons ventilateurs (fan gun):

Définitivement le type de canon le plus efficace,  mais par contre,  le plus coûteux.  Ces canons utilisent un compresseur ainsi qu’une hélice pour projeter la neige le plus longtemps possible dans les airs.  Leur utilisation est majoritairement restreinte à la base des montagnes car ils requièrent, en plus de l’eau, une alimentation électrique dédiée,  afin de faire fonctionner le moteur de l’hélice et le compresseur. 

Canons perches:

Ce type de canon, largement utilisé dans l’industrie, est victime du défaut de ses qualités. Sa hauteur imposante lui permet de garder en suspension pendant une longue période de temps les cristaux qu’il produit. La neige produite par ce genre de canon est donc plus sèche que celle produite par des canons conventionnels. Cependant, il peut être parfois difficile de garder  la neige dans la piste à enneiger lors de journée venteuse, la neige soufflée peut facilement terminer sa course dans les bois (au grand plaisir des skieurs de sous-bois). À cause de sa grande taille, ce type de canon est plus souvent utilisé de manière fixe,  mais il peut également être déplacé sur un traîneau.  Il ne requiert que de l’eau et de l’air comprimé pour fonctionner.  Certains types de canons perches sont également utilisés sans air comprimé, c’est-à-dire uniquement avec de l’eau; dans ce cas, leur utilisation est restreinte aux journées de froid sibérien.

Maintenant, pour les vrais fanatiques de la neige, sachez qu’il est possible, et ce, à coût très raisonnable (moins de 20$),  de vous lancer dans la course en construisant et opérant votre propre canon à neige dans votre cour. En utilisant l’eau de l’aqueduc (je sais, ce n’est pas très écologique, mais à ma défense, sachez que je n’arrose jamais mon gazon en été), un compresseur à air et quelques pièces de plomberie de la quincaillerie du coin, vous pouvez espérer démarrer votre saison hivernale avant tout le monde,  ce qui est maintenant devenu une habitude inextinguible chez moi, au grand plaisir de mes enfants et au désarroi de ma femme et de mes voisins!

Quelques références historiques:
“Who Made That Artifical Snow” (NY Times)
“Snomaking born of a bad year” (Stowe Today)
Skier of the Decade: Wayne Pierce, 1950’s” (SkiMag.com)

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Fils illégitime du défunt Prof Bof, Marc-Antoine est passionné par deux choses: la neige et la science. Tantôt, en classique, tantôt en skating et tantôt en hors-piste, Marc-Antoine s’oppose fermement à la binarité de la discipline et refuse d’être associé à un camp défini. Follement amoureux de la neige, sa non-binarité lui permet bon an mal an de profiter de sa passion de la glisse d’octobre à juillet.