Ce récit s’ajoute à la collection de la série « Histoires de patrouille ». Ces histoires, rédigées ou racontées par des patrouilleurs de partout au Québec, qu’ils soient retraités ou encore actifs, ont pour but d’humaniser le titre qui fait souvent frémir les skieurs et planchistes en station. Être patrouilleur, c’est bien plus que porter un uniforme, une radio et une trousse de premiers soins… c’est une histoire de dévouement, de passion pour le ski, l’entraide, l’esprit d’équipe et le don de soi. Nous espérons qu’à travers ces récits, votre perception de ceux qui sillonnent les pistes pour assurer la sécurité des skieurs changera pour le mieux!

Patrouilleur: Simon Marquis
Station: Bromont, montagne d’expériences
Années d’activité: 2009-…

Par un soir de janvier, on profite d’une météo enfin clémente comparativement en début de semaine où il faisait -1000 degrés sur la montagne. Les conditions de ski sont à leur meilleur sur la grande majorité du domaine skiable grâce aux dieux des dameuses. Bref, une belle soirée comme on les aime! C’est le genre de conditions où on ne se fait pas prier pour sillonner la montagne, comme tous les skieurs présents.

Vers 19h, c’est le moment où toute l’équipe s’assoit à table et déguste les différents plats que tous et chacun ont apporté pour faire un souper de groupe. On a à peine entamé les entrées que le téléphone du répartiteur sonne, il est 19h25. C’est l’opérateur en haut de la remontée qui nous signale, sur information d’un skieur en remontée, qu’il y aurait un blessé possible dans le dernier pitch de la Coupe du monde. Aussitôt l’appel reçu, un patrouilleur quitte le repas et s’empresse de s’habiller pour se mettre en route. Les secondes s’écoulent après le départ du premier patrouilleur et un deuxième patrouilleur se tient aux aguets, en attente d’informations supplémentaires.

Le second appel retentit sur les ondes: le patrouilleur signale son arrivée sur les lieux et nous informe que c’est une « fausse alerte »: il n’y a pas de blessé, le skieur est plutôt en panique dans la piste… impossible de terminer la descente, il est tétanisé de peur! On envoie donc une de nos collègues, équipée du traineau, afin d’évacuer le skieur en émoi. Il s’agit d’une manœuvre bien banale pour nous, le reste de l’équipe poursuit donc son souper. Puis, à 19h40, un code radio interne signalant un patrouilleur en détresse se fait entendre! Ni une ni deux, terminé le souper, toute l’équipe se lève et se précipite. Je fais partie des premiers sortis dehors. L’appel a été logé pour le même endroit que l’incident précédent! C’est étrange…

À mon arrivée sur les lieux, je dépasse un patrouilleur préventionniste qui fait dévier la clientèle vers la jonction de piste tout près pour éviter un autre accident. À mon premier regard sur les environs, je me demande « What the f… »? Tout ce que j’aperçois, c’est le premier skieur paniqué, qui est encore tétanisé sur place, tandis que le tout premier patrouilleur arrivé tente de son mieux de le retenir pour éviter qu’il ne glisse jusqu’au milieu de la piste. Je cherche le deuxième patrouilleur des yeux, sans la voir… mon collègue me dit qu’elle est dans le bois, côté skieur droit! Et à ce moment, je vois ma pauvre collègue qui se tient de peine et de misère à un arbre, et le traineau qu’elle transportait, renversé, adossé à un autre arbre, vingt mètres plus bas.

Après quelques grimaces, un dérapage plus ou moins contrôlé sur la glace et quelques frousses, j’arrive à la hauteur de ma collègue. J’ai le réflexe de lancer ma phrase habituelle, qui se veut joviale: « Hey salut toi! Comment ça va?? » Généralement, on me répond un « Me niaises-tu!? », ma comparse mal en point me sert le même type de réplique. En analysant la cinétique de l’événement, je me fais une idée de ce qui a pu se produire pour qu’une patrouilleuse se retrouve là! J’exécute mon protocole après avoir tenté de me sécuriser moi-même, et je pressens déjà que l’évacuation des deux blessés sera ardue! Car oui, on doit aussi faire descendre le skieur paniqué, qui fait encore l’étoile au bord de la piste!

On a fini par demander deux traineaux, deux kits d’évacuation de télésièges, des crampons et bien du monde en renfort! Les crampons aux pieds de tout le monde nous ont permis de gagner en stabilité sur la glace lors des manoeuvres pour installer le skieur étoilé et ma collègue sur les traineaux; les cordes des kits d’évacuation nous ont servi à descendre les traineaux en rappel: pas question qu’on descende ces engins en dérapage classique!

Ce cas particulier a permis à tous les patrouilleurs présents de mettre en pratique toutes les formations et l’expérience acquise au fil des ans: le maniement du matériel, les protocoles de sécurité, les examens primaires et secondaires, la gestion du côté psychologique, bref, on ne pouvait pas avoir plus complet! Grâce à tout ce travail d’équipe, on a été rapides, efficaces et sécuritaires. En y repensant encore aujourd’hui, c’était un des cas où on a dû montrer le plus d’ingéniosité et de réactions rapides! Temps total de l’opération: 45 minutes.

Notre pauvre collègue a dû terminer sa journée dans une ambulance: elle avait des douleurs multiples au haut du corps, un genou très amoché et son état ne nous permettait pas de la laisser quitter par elle-même. Nous avons appris plus tard qu’elle avait subi des déchirures aux ligaments, provoquées par l’impact avec l’arbre auquel elle se cramponnait. Quant au skieur en panique, il en a été quitte pour un bon « reality check »: il n’avait pas le calibre pour la Coupe du monde, et il l’a appris à la dure!

En conclusion, la seule raison pour laquelle je vous raconte cette histoire, c’est pour vous dire que d’une part, on en voit de toutes les couleurs… et que d’autre part, on est outillés pour faire face à tout! Alors la prochaine fois que vous croiserez un patrouilleur, ne vous imaginez pas qu’il est là pour vous embêter… mais plutôt qu’il est là, avec toutes ses compétences, pour vous venir en aide dès que vous en aurez besoin!

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Diplômé en droit et en relations industrielles, Philippe a mené deux carrières en parallèle: de simple patrouilleur qu'il était au moment du premier cas qui l'a marqué, il a fondé et dirige 30 ans plus tard l'I.N.S.Q. (Institut national de secourisme du Québec), qui forme plus de 1000 patrouilleurs par année dans 30 stations québécoises. Il exerce également le droit comme avocat-civiliste depuis 20 ans.