Fondée aux États-Unis en 2007 par le planchiste professionnel Jeremy Jones, l’organisation Protect Our Winters (POW) se donne comme mandat de rassembler, sensibiliser et mobiliser des passionnés, des athlètes, des marques et des stations pour limiter le réchauffement climatique qui affecte la planète et plus particulièrement les montagnes. Au fil des ans, des initiatives nationales de POW ont éclos un peu partout sur le globe, par exemple en Nouvelle-Zélande, en Norvège, dans différents pays européens dont la France et, tout récemment au Canada. Tous sont mobilisés autour du même slogan : «On a tous besoin de l’hiver» (We all need winter).

Zone.Ski s’est entretenu avec Antoine Pin de POW France, qui répond à nos questions sur différents thèmes liés à la lutte contre les changements climatiques, ainsi qu’au rôle des skieurs et de l’industrie du ski dans ce combat.

Propos recueillis par Pierre Pinsonnault

1. Quels sont les enjeux reliés aux changements climatiques qui devraient préoccuper davantage les skieurs?

Les impacts des changements climatiques ont tendance à être exacerbés en montagne dû au réchauffement plus rapide qui s’y opère. De manière très basique, et pour les stations de plus basse altitude, c’est la disparition complète du manteau neigeux qui est à envisager dans plusieurs points chauds du globe, notamment en Europe de l’Ouest, en Amérique du Sud et, pour l’instant, dans certains points de l’Amérique du Nord.

La disparition de la ressource en neige et des activités touristiques qui l’accompagnent n’est malheureusement qu’une des nombreuses facettes des problèmes posés par les changements climatiques en montagne et dans le monde : c’est tout le cycle hydrologique d’approvisionnement en eau douce de la planète qui sera chamboulé.

2. Quelles sont les actions menées par POW pour, d’une part, faire prendre conscience aux skieurs de ces enjeux et, d’autre part, agir sur ces enjeux?

POW s’est donné deux axes majeurs d’intervention afin d’engager sa communauté à relever le défi climatique.

Le premier englobe toutes nos actions qui visent à transmettre la science actuelle au plus grand nombre de personnes issues de la communauté outdoor et des sports de glisse. Ainsi, à travers notamment notre websérie Climate Lines, nous nous évertuons à documenter les impacts actuels des changements climatiques sur nos montagnes. Cette websérie, comme d’autre contenus produits par notre organisation, est diffusée auprès des jeunes dans les écoles et au grand public lors de festivals de films de montagne.

Le deuxième axe vise à mettre dans les mains de nos communautés des occasions de rendre concret leur engagement, que ce soit sur le plan individuel ou à un niveau plus systémique/politique. Ainsi notre programme des «7 conversions pour le climat» présente chaque semaine, par l’entremise de nos réseaux sociaux, un de nos 7 thèmes d’action et les outils, personnes, partenaires, initiatives qui permettent d’agir dans ces domaines particuliers.

Au niveau systémique, nous mettons également en place des initiatives permettant à notre communauté en France de se sentir investie dans le processus politique et de solliciter ses représentants pour exiger de mettre l’accent sur la priorité environnementale. Au cours de l’élection présidentielle, la campagne «Drop In and Vote» invitait à voter pour le climat et non pour un parti ou pour un candidat. Un de nos projets principaux pour le début de cette année s’articule d’ailleurs autour des élections européennes de 2019, et de la nécessité d’exercer notre pouvoir citoyen pour forcer les institutions à suivre les engagements que les personnes prennent déjà sur le plan individuel.

3. Que peut-on faire, comme individu appartenant à la grande communauté des skieurs, pour contribuer à la lutte contre les changements climatiques?

En tant que skieurs et skieuses, notre impact se trouve essentiellement en deux points : le transport vers les stations de skis et la consommation outrancière d’équipement.

On se rend compte, une fois que les stations (pour celles qui le font) ont pu accéder à une source renouvelable d’énergie pour leurs infrastructures, que la majeure partie des émissions de ces territoires provient du transport individuel des usagers. En ce sens, nous sommes notamment partenaires de l’initiative Mountain Go, une communauté de covoiturage dédiée aux activités outdoor et de glisse, mais travaillons également avec les stations pour les encourager à créer des espaces de stationnement réservés au covoiturage, offrir des navettes de transport en commun aux usagers, etc.

Pour ce qui est de l’équipement, il s’agit encore une fois de consommation. L’industrie du ski, comme celles de l’automobile ou des téléphones cellulaires, s’évertue à vouloir nous vendre de nouveaux modèles, aux améliorations discutables, année après année. Il est bien sûr important d’avoir du matériel fiable pour pratiquer nos activités, mais une nouvelle paire de skis chaque année est tout bonnement inutile pour la grande majorité des rideurs et rideuses. Pour s’engager contre cette réalité, nous utilisons plusieurs leviers, comme le soutien à des initiatives issues des compagnies d’équipements elles-mêmes (Worn Wear Tour de Patagonia, programme ZAGreen de ZAG skis), et nous nous associons également à des marques pour qui la durabilité et/ou la circularité sont au cœur du modèle d’affaires (Lagoped et ses vêtements en fibres recyclées, Freegliss qui récupère et répare les skis de location pour les vendre à bas prix).

Ainsi, en tant que skieur, faire attention à la façon dont on se rend en montagne, et limiter la consommation spécifique à notre activité restent des leviers forts. Ceci dit, mettre aux pouvoir des élu(e)s qui ont à cœur de créer un modèle de société respectueux de notre environnement et de ses membres parait être une bonne idée également!

4. Est-ce que POW est un «statement» politique?

POW est un appel à la lucidité avant tout. Si «statement» il doit y avoir, ce serait celui d’être en mesure de se confronter à nos limites, à nos peurs, à nos erreurs passées, comme on le ferait pour aborder une sortie en montagne. Le but n’est pas d’être dans le blâme : personne n’est parfait sur cette planète, et c’est la somme de nos imperfections et de nos envies de les surmonter qui nous permettront de créer une société plus juste et plus durable.

5. Nous avons parlé beaucoup des individus, mais qu’en est-il de l’industrie du ski et au premier chef des stations de ski? Quelle est leur place dans la lutte contre les changements climatiques et que peuvent-elles faire pour y participer?

Les stations de ski se retrouvent dans une position délicate et qu’on peut qualifier à la limite de la schizophrénie. D’une part, ces acteurs sont aux premières loges du changement qui se produit dans nos montagnes. Que ce soit le niveau du manteau neigeux, les éboulements ou les sécheresses en altitude, les gestionnaires de domaine skiable ne peuvent que constater la tendance qui s’annonce.

Et pourtant, pour un grand nombre d’entre elles, les stations semblent ne pas prendre la mesure complète de ce qui les attend, et semblent paralysées autour de l’idée que leurs communautés ne peuvent survivre qu’à travers l’exploitation de la saison hivernale pour les sports d’hiver.

Ainsi, dans le combat contre les changements climatiques, nous pensons que les stations de ski ont plusieurs rôles à jouer. Tout d’abord, elles doivent prendre à cœur leur rôle de témoins et sentinelles des changements en montagne et être les premières à communiquer sur la réalité à laquelle elles font face.

Ensuite, elles ont également un rôle de sensibilisation à jouer auprès de leurs usagers. En effet, la clientèle qui vient skier est de fait attachée à la neige et doit se sentir concernée et engagée dans le combat contre le réchauffement, et l’intermédiaire privilégiée pour cela doit être la station qui les accueille. Puis, les stations doivent se doter d’infrastructures et de processus qui permettent de limiter, réduire ou compenser leurs impacts principaux, avec en premier lieu, dans plusieurs cas, la quasi impossibilité de se rendre en station efficacement avec les transports en commun.

Enfin, comme l’a montré le rapport publié par POW aux États Unis, les stations de ski doivent prendre la mesure de leur poids sur l’économie nationale, et faire peser ce poids sur les décideurs, législateurs et industriels pour garantir la mise en place de politiques de lutte contre les changements climatiques, qui permettront de garantir une certaine pérennité à leur activité hivernale et un développement de leur économie sur les quatre saisons.

6. Si une personne veut s’engager auprès de POW, quelles sont les options qui s’offrent à elle?

Ce ne sont pas les occasions qui manquent. Il est possible de simplement nous suivre sur les réseaux sociaux et s’informer au travers de nos actions de communication. Il y a également la possibilité d’adhérer à POW dans le pays de son choix et, ainsi, nous soutenir financièrement pour la mise en place de nos actions. Cette adhésion donne accès notamment à un «kit adhérent» (stickers, dépliants, etc.) pour afficher son appartenance à notre communauté et ainsi créer la conversation dans sa propre sphère.

Mais le meilleur moyen de s’engager auprès de POW est de répandre la bonne parole autour de soi. Les valeurs dont nous faisons la promotion ne sont pas cantonnées au monde de la glisse et de l’outdoor, mais sont partagées par l’ensemble du milieu de l’environnement, de la justice sociale, de l’entraide internationale. Nous aurons accompli notre mission si les personnes qui nous suivent se sentent accompagnées, soutenues et motivées à faire ce qui leur semble être nécessaire pour faire changer notre société.

WE ALL NEED WINTER, que l’on ride ou non, c’est le message à transmettre partout autour de soi !

Pour plus d’information:

POW Canada : https://protectourwinters.ca/
POW France : http://www.protectourwinters.fr/
POW international : https://protectourwinters.org/

Article précédentLa face cachée de Mansfield (attention: pow profonde!)
Article suivantRégression des glaciers: un indicateur indéniable du réchauffement
Pierre Pinsonnault
Son intérêt pour la nature et le grand air se décline en deux principales activités : le ski alpin (sa grande passion) et la randonnée en montagne. Rédacteur professionnel dans la vie de tous les jours, et prenant un malin plaisir à photographier les paysages d’hiver et les skieurs lorsqu'il pratique son sport de prédilection, Pierre aime écrire sur le ski et partager ses expériences, photos à l’appui.