Son regard vif fiché en plein dans le mien, Kevin Lussier donne l’impression indélébile d’un gars qui sait de quoi il parle. Il parle de ski. Pas juste de ski, mais beaucoup de ski. Le ski sur piste, le ski hors-piste, le ski au centre de sa vie, le ski comme vecteur de croissance, le ski comme job, le ski à l’infini. Je suis accroché à ses paroles parce qu’il s’en dégage une intensité à faire fondre la neige dans les bols de Revelstoke, là où je l’interviewe. Kevin est représentant à destination pour Voyages Gendron depuis trois ans. Cependant, il connaît la montagne comme s’il l’avait créée lui-même!

Ce jeune homme de 25 ans, originaire de St-Hyacinthe, pourrait en avoir beaucoup plus. En effet, les confidences qu’il me fait sont l’écho d’une vie sans compromis ni passages à vide, remplie d’action et d’interactions. Kevin saisit chaque moment comme s’il s’agissait de son dernier. La tête bien vissée sur les épaules, il est généreux de ses paroles et de son expertise. Il déclare qu’habituellement il préfère écouter que de parler de lui. Ce soir, il ne tarit pas.

Cependant, aucune de mes paroles ne lui échappe. Passer la soirée en sa compagnie est une vraie perfusion de YOLO! Entre le ciel et la Terre, Kevin Lussier est un ground qui me ramène sans cesse à l’essentiel, le concret, le réel tout en suscitant le rêve et l’admiration. Il déclare solennellement qu’il déteste la b… s… Je vous fais grâce de l’expression anglaise qui fait référence au faux et au clinquant.

Pendant trois heures de discussion super connectée et absolument authentique, Kevin n’a pas une seule fois exprimé ne serait-ce que l’ombre d’une pensée négative. Le champ magnétique de ce gars-là n’a qu’un pôle, le positif!

Un professionnel du ski

Kevin gagne sa vie, en partie, en skiant dans une station de calibre international. Le rêve de beaucoup de skieurs, mais la réalité d’une portion infinitésimale. En tant que représentant à destination, son rôle est d’accueillir les clients de l’agence de voyage lors de leur première sortie à Revelstoke Mountain Resort. Le rendez-vous est donné pour 8h30 au pied de la télécabine. Il ne faut que le furtif instant du premier regard pour savoir laquelle des personnes présentes est Kevin. Le look du montagnard aguerrit ne ment pas. Son regard à la fois enjoué et sérieux est engageant. La tenue vestimentaire est professionnelle mais ne dit pas: “Regardez-moi!”. Au contraire, elle témoigne d’une existence qui n’a pas d’intérêt pour le bling-bling. Son équipement raconte les longues descentes pentues et les bols sans lendemains. Les gants ont du vécu; ils ont clairement tenu plus que des bâtons de ski. C’est un pro qui nous accueille!

Après que la neige ait fondu, avec ses promesses de tempêtes hivernales mémorables, Kevin retourne vers des quartiers qui lui donnent presqu’autant d’espace vital. Il est cordiste. Il grimpe dans des tours pour y faire ce qui doit être fait. C’est tout ce qu’il en dit! Kevin est un homme des grands espaces et des montagnes aux sommets perpétuellement enneigés. D’ailleurs, durant toute notre conversation il est peu question de travail. Le montagnard aime bien travailler, mais ce qu’il aime par-dessus tout c’est ne pas travailler! Il s’explique. Ne pas avoir d’emploi pendant une certaine période lui permet de vivre sa liberté et d’explorer ses projets personnels. Il sont à la fois variés et pas si nombreux que ça. Quand il se retrouve dans son monde sans obligation professionnelle, sa vie s’ouvre encore plus grand et elle lui insuffle l’oxygène moral qui est la fondation de son être.

Il suffit d’une seule descente sous sa direction pour sentir combien il aime amener les gens sur les pentes de Revelstoke. Malgré cela, on comprend vite qu’il est libre de ses choix. Kevin nous amène où bon lui semble et il ne se prive pas pour diriger le groupe là où il sait qu’il aura autant de plaisir que nous. Un équilibre réussi entre nos besoins de “novices” et ses aspirations d’aventurier. Nous sommes en présence d’un leader qui suggère avec ferveur sans jamais nous forcer la main. Il commande le respect, lui qui le donne si librement.

Cette propension à vivre et à laisser vivre a dû plaire à Raccoon, le fabricant de skis Québécois, dont Kevin figure parmi les ambassadeurs. Il arbore joyeusement une paire de Bison Carbone. Le fait que Kevin passe plus de 120 jours par année sur ses skis a nul doute pesé dans la balance! Pour témoigner du temps passé sur ses planches, le gaillard raconte comment ses chevilles étaient devenues faibles hors de ses bottes de ski en mai dernier!

Le p’tit écolier pas commode

De son propre aveu, Kevin Lussier a été un petit malcommode au primaire! Il a tôt fait de comprendre que l’école n’était pas faite pour lui. Moi, le prof, je suis frappé de ce qu’il ne blâme pas l’institution. Ni ses enseignantes. Il assume pleinement ce qu’il était. “Quatre murs fermés, c’était dur à prendre pour un p’tit cr… comme moi”, dit-il tout sourire! Les stratégies d’évitement de la classe, Kevin en a écrit le manuel. Aller aux toilettes, jouer au Game Boy, piquer une jasette avec la secrétaire, etc. Un électron libre, que je vous dis! Cependant, l’école secondaire n’a pas qu’amené des poils à son menton. Kevin a pris de la maturité et son séjour chez les Cadets l’a remis sur les rails d’un plus grand contrôle de soi. Il a aimé la discipline et le leadership des Cadets. Aujourd’hui, il ne voudrait pas être soldat, mais il admet volontiers que la discipline militaire lui a été profitable.

Une vocation claire

Kevin est “dans” le ski depuis qu’il a 18 ans. Il étudiait alors en Gaspésie pour devenir guide d’aventure. Il sait maintenant que ce n’est pas de cette façon qu’il gagnera sa vie. Il a d’autres idées et projets en tête. Kevin a compris depuis longtemps que sa vocation première c’est la vie, sa vie. Son contact initial avec la glisse a été décisif. Il a vite su que ses pieds doivent avoir des planches dessous. Que son toupet doit avoir de l’air raréfié qui le décoiffe. Kevin dégage une énorme sensation de grands espaces et de liberté. Alors qu’on discute, il me traverse l’esprit qu’essayer de l’attacher à une hypothèque et un boulot dans un bureau serait aussi difficile que de tenter de l’empêcher d’aller jouer dehors! Sa vision de l’avenir est toute simple et lucide: trouver un équilibre entre travail et loisirs.

Le bohème assumé

Après la soirée passée ensemble, Kevin m’offre de visiter son chez-soi. C’est tout près. Son “appart” est stationné de l’autre côté de la rue. Stationné, oui, oui!  “Bienvenue dans ma caravane GMC aménagée de mes propres mains!” Sa vie de bohème est pleinement assumée, choisie et voulue. Pas de superflu qui vous attache les pieds à un boulet. La vraie liberté a un visage limpide et souriant. Kevin en a fait le portrait dans sa tête et dans son coeur. Il est heureux et il n’envie personne. Sa copine partage les mêmes intérêts et aspirations de liberté. Vivre mieux, travailler moins et consommer mieux. Oh, bien sûr ils se voient tous les deux faire des concessions dans un avenir rapproché. Comme vendre la caravane et s’acheter une propriété. Elle sera de type mini-maison et elle sera mobile. Elle fera partie d’une communauté de jeunes gens qui partagent la même vision d’un monde libre, détaché et écolo. Leur vie sera parsemée d’expéditions en ski dans des contrées sauvages.

De toute la soirée, je ne réussis qu’à lui arracher une seule anecdote. Elle est drôle, bien qu’étrange. Un jour, un des skieurs qu’il mène tombe dans un tree well, un de ces trous de neige profonds et invisibles le long des conifères, dissimulé par les branches. On peut y tomber tête première et succomber à l’asphyxie. Rapidement, le groupe le sort de sa dangereuse posture. Le gars est sonné et apeuré. Il a vu son Créateur lui faire signe! Le gars tend une main; il tient une bouteille de bière qu’il a trouvée au fond de son trou de mort…

Suivre ses traces

Kevin Lussier ne prétend pas révolutionner l’univers du ski. Il ne réinventera pas un sport de plus en plus axé sur la grande aventure. Au contraire, c’est à une toute petite échelle que Kevin laissera sa marque. Il touche l’âme des aventuriers alpins grâce à ses propres actions et grâce à sa présence tranquille. On peut imaginer deux traces de ski qui s’allongent sur les flancs vierges d’une montagne enneigée. On sait que quelqu’un est passé par là avant soi. On ne voit pas cette personne. Toutefois, on s’engage dans ses traces et on les suit volontiers en sachant qu’elles mènent vers une quête plus grande que soi. Ce parcours nous rassure et nous étreint. Le lieu d’arrivée importe peu; ce qui compte c’est le moment présent, la poudrerie envoûtante de notre petit bonheur. Au pied de cette longue pente on retrouve Kevin en train de faire une bricole. On lui dira merci d’avoir tracé pour nous tout en nous laissant choisir notre propre ligne immaculée. Il sourira et retournera à sa tâche sans demander son reste! Tant qu’il tiendra debout, Kevin Lussier tracera ses propres descentes.

Article précédentLe ski et les enfants: MON Tremblant, un modèle à suivre!
Article suivantDécouvrir le versant Blackcomb de Whistler-Blackcomb
Patrick Teasdale
Patrick Teasdale aime beaucoup jouer dehors. Télémarkeur depuis longtemps, il explore maintenant les possibilités du ski de randonnée alpine. Il troque volontiers sa pagaie groenlandaise ou ses skis pour une tasse d'excellent thé vert japonais. Un brin poète et idéaliste, il ne demande qu'à être émerveillé par une trouée de lumière, un chant d'oiseau ou une lame de neige. Il aime soigner ses chroniques et ses photos.