Le moment frappe l’imaginaire, l’image reste gravée dans la mémoire, la sensation d’accomplissement est pleine: se tenir sur le bord du cratère fumant du volcan Villarrica après cinq heures d’ascension, se pencher pour regarder la lave, mettre ses skis et s’élancer pour une descente enivrante de 1550 mètres de dénivelé.
De premier abord, cette expérience peut paraître inaccessible; pourtant, avec une bonne préparation physique et mentale, un bon niveau de ski, le bon équipement et une connaissance préalable du type de terrain, il est possible de mener à bien l’ascension et la descente de plusieurs volcans du sud du Chili. Voici le récit de mes excursions sur trois volcans au mois d’août 2016 avec, à la clé, quelques conseils.
Volcan Lonquimay: pour se faire les jambes
Le volcan Lonquimay est situé près du village de Malalcahuello, en Araucanie. (Pour plus d’information sur le volcan Lonquimay et le village de Malalcahuello, lire mon autre texte Corralco / volcan Lonquimay: épicentre de la nouvelle génération backcountry du Chili.) Comme les deux autres volcans présentés dans ce reportage, on y retrouve une station de ski à sa base, réduisant l’approche à zéro grâce à la route d’accès. Également, la présence de stations de ski peut, pour celui qui le désire, réduire le temps d’ascension en faisant une partie du dénivelé à l’aide des remontées mécaniques lorsque celles-ci sont ouvertes (ce n’est toutefois pas cette option qui sera présentée).
Le Lonquimay est la randonnée parfaite pour s’initier à l’environnement volcanique. L’ascension n’est pas très technique, l’itinéraire est évident et la neige y est la plupart du temps de bonne qualité. Il s’agit d’une ascension de 1285 mètres de dénivelé sur une pente qui ne dépasse pas les 35 degrés d’inclinaison à l’approche du sommet.
Pour le Lonquimay, j’ai fait l’ascension en peaux jusqu’en haut du téléski Cumbre; par la suite, j’ai effectué la transition vers les crampons d’alpinisme et j’ai grimpé en suivant la crête qui mène au sommet. Arrivé en haut, le panorama est fabuleux: les Andes enneigées s’étendent à nos pieds alors que trônent plusieurs autres volcans.
Pour skier, je choisis la face qui présente les meilleures conditions, considérant la direction des vents et l’ensoleillement. La face sud-est semble l’option idéale la plupart du temps. La descente, quant à elle, est mémorable grâce à la qualité de la neige dans cette région.
Il s’agit de la deuxième fois que je monte et descends le Lonquimay, la première étant en 2014. C’est d’ailleurs lors de cette première ascension que j’ai eu la piqûre du ski volcanique et je m’étais juré que d’y revenir… M’y revoici, et cela est le prélude à deux autres ascensions tout aussi plaisantes.
Même s’il est possible de faire cette ascension en autonomie – ce que j’ai fait pour les trois volcans présentés ici – vous pouvez toujours demander les services d’un guide directement à la station de ski Corralco ou à l’agence Isoterma Cero (www.facebook.com/isoterma.cero/), basée à Malalcahuello.
Volcan Villarrica: l’incontournable actif
Le volcan Villarrica est un des plus actifs du Chili – la dernière éruption de décembre 2014 nécessitant la suspension de toutes les activités récréatives – et aussi l’un des plus populaires. On peut y rencontrer jusqu’à 50 personnes par jour de beau temps et, à cet égard, son attractivité est due au fait qu’il est possible d’y observer la lave lorsqu’on se rend jusqu’au cratère. La municipalité de Pucón, au pied du volcan, héberge d’ailleurs plusieurs agences de guides pour accompagner les touristes au sommet.
J’ai effectué cette ascension en autonomie avec une connaissance qui était au Chili à ce moment, soit Thomas Thiery. Afin d’éviter les foules et puisque nous savions que le temps allait se gâter en cours de journée, nous commençons l’ascension tôt le matin, vers 6h30. À notre arrivée dans le stationnement de la station de ski, comme il fait encore sombre à cette heure, nous pouvons nous émerveiller devant la lueur rougeâtre au sommet du volcan, effet perceptible de la lave qui illumine timidement le ciel noir.
Nous entamons donc la montée des 1550 mètres de dénivelé pour atteindre le cratère. L’ascension est une expérience psychologique intense pour moi: après avoir fait la transition des peaux vers les crampons d’alpinisme, la montée, pourtant pas si inclinée (30 degrés tendant vers les 35 degrés à la fin), s’effectue sur une surface qu’on peut qualifier «en écailles de glace», avec un vent soutenu à 80 km/h. Il faut avoir conscience que l’un des dangers sur les volcans est de faire une chute, ce qui peut se traduire par une glissade incontrôlée sur plusieurs centaines de mètres. Peu importe où l’on est dans ces environnements, le risque zéro n’existe pas…
Nous nous battons donc contre le vent, qui nous frappe de plein fouet pour le reste de l’ascension, soit un bon deux heures. Il faut garder l’équilibre et, heureusement, les crampons s’enfoncent bien dans la surface durcie. Le vent soulève la neige, qui nous fouette constamment le visage. Le sommet, qui paraissait si loin, arrive plus vite que je me l’imaginais; et heureusement, puisque mon esprit remettait en question la source de ma motivation à vouloir me trouver sur une pente semi-glacée de 35 degrés, les skis sur le dos, à garder mon équilibre contre un vent furieux.
Tout cela finit par prendre sens une fois au sommet, alors que je contemple le cratère fumant du Villarrica. Une fois la photo d’usage faite sur le bord du cratère, nous entamons rapidement la descente puisque le vent devenait insoutenable.
La première partie se fait sur une surface semi-glacée (c’est skiable, avec prudence), alors que la seconde partie s’effectue sur une superbe neige molle réchauffée par le soleil. La morphologie du volcan Villarrica, particulièrement dans sa partie inférieure, en fait un terrain accidenté très plaisant à skier.
Le volcan Villarrica vu de la rive du lac du même nom. Durant l’ascension du volcan Villarrica. Le début de la descente, proche du sommet (photo: Thomas Thiery). Et Pierre regarde derrière lui pour contempler sa descente de 1550 mètres de dénivelé sur un terrain de jeu à faire rêver! (Photo: Thomas Thiery)
Volcan Antuco: splendeur et solitude
Le volcan Antuco est celui où l’on risque de rencontrer le moins de personnes; c’est aussi l’ascension la plus technique des trois présentées ici, avec un dénivelé de 1600 mètres et une inclinaison constante à 40 degrés dans la partie supérieure. Comme les deux autres volcans de mon récit, Antuco se trouve dans un parc national, mais c’est le seul où l’on m’a demandé de m’inscrire à l’entrée comme mesure de sécurité. Aussi, comparativement aux deux autres, il n’y a pas de service officiel de guides; il faut donc réaliser l’ascension en autonomie.
En fait, le meilleur «guide» pour réaliser les itinéraires en autonomie est le livre Topo de ski andinisme de Frédéric Lena (www.belupress.com). On y retrouve les itinéraires de randonnée pour plusieurs volcans du Sud, de même que pour d’autres régions des Andes du Chili et de l’Argentine.
Le début de l’ascension (et plus tard de la descente) de l’Antuco s’effectue en bottes sur la roche, le centre de ski étant fermé cette année par manque de neige à basse altitude. Mais après les 300 premiers mètres, je peux mettre les peaux et grimper à l’aide des crampons à skis. Il est tôt et le soleil n’a pas encore réchauffé la surface de neige durcie.
La journée est parfaite: le ciel est dégagé et la température augmente juste assez pour me préparer une belle surface style «crémage à gâteau» pour la descente. L’attrait de l’ascension est de voir la Laguna de La Laja se dévoiler dans toute sa splendeur à mesure que je prends de l’altitude. Il s’agit d’un lac de montagne qui s’est créé lors de la dernière éruption du volcan Antuco, il y a environ 30 ans, alors que la lave coulante a eu pour effet de bloquer le rio de La Laja.
Lorsque la pente atteint environ 35 degrés d’inclinaison, je fais une transition vers les crampons pour bottes de skis. Il devenait moins sécuritaire de poursuivre la montée en peaux, surtout que l’inclinaison augmentera encore pour atteindre 40 degrés.
Pour la suite, je monte sur une crête, partiellement glacée (pas de problème avec les crampons), et dont les roches me donnent des points d’appui. Le vent se met aussi de la partie, atteignant environ un 70 km/h soutenu pour le dernier tiers de la montée; néanmoins le soleil et le ciel bleu rendent l’ascension sereine.
Les derniers 100 mètres pour atteindre le cratère sont glacés et balayés par le vent, ce qui est normal pour les volcans dont les cônes trônent généralement à 3000 mètres d’altitude dans cette partie des Andes. Au sommet, le vent est tel qu’il devient inconcevable de chausser les skis en sécurité. Je prends donc quelques clichés du panorama avant de redescendre sur un plateau 100 mètres plus bas, moins exposé vent.
Outre les 50 premiers mètres glacés avant de rejoindre la belle neige andine, la descente sur une pente constante de 40 degrés au début, diminuant à 35 degrés par la suite, est fantastique. La neige est parfaite pour ce genre de descente: une surface soyeuse compactée par le vent, qui ramollit un peu plus bas sous l’effet du soleil sans devenir lourde. À chaque virage, la gravité me tire vers le bas et la neige est tellement bonne que le contrôle des virages et de la vitesse est aisé.
Pour tous les aspects – le soleil, la qualité de neige, le panorama, l’accomplissement personnel – l’ascension et la descente du volcan Antuco restera à jamais gravée dans ma mémoire. C’est très certainement l’un des plus beaux moments de ski de ma vie.
Escapade courte mais intense
Si mon escapade chilienne fut courte cette année, elle s’est avérée néanmoins à la fois intense et extrêmement satisfaisante. En seulement huit jours de ski possibles, j’ai pu faire l’ascension de trois volcans, sans compter les autres sorties en backcountry autour du volcan Lonquimay et un peu de ski en station à Corralco. Et, aspect non négligeable, j’ai pu renouer avec ce beau pays qu’est le Chili et ses sympathiques habitants.
Dans tout le Chili, du nord au sud, il y a quelque 500 volcans qui ponctuent la cordillère des Andes. Les plus accessibles se trouvent au sud, soit dans les régions du Bio-Bio, de l’Araucanie, de Los Rios et de Los Lagos, où l’on en compte près d’une trentaine qui sont skiables. Nul besoin de préciser qu’il y a là plusieurs options pour s’occuper durant quelques étés…