La neige tombe depuis plusieurs jours, à intervalle plus ou moins régulière. Un mètre et demi s’est accumulé depuis trois jours sur la partie des Andes où je me trouve. Durant cet hiver austral 2017, la situation est exceptionnelle dans le sud du Chili: il fait plutôt froid, et la neige apparaît à une plus basse altitude que la normale, jusque dans le village de Malalcahuello, en Araucanie, qui m’abrite en cette deuxième moitié d’août.

Avec les conditions météorologiques, l’idée de s’aventurer en terrain alpin en vue de gravir des sommets est balayée du revers. Par contre, dans cette région du Chili au climat bien particulier, où se trouve notamment la station Corralco Resort de Montana, il existe un environnement de ski qu’on ne retrouve pas ou peu ailleurs au pays: les forêts d’araucarias, ces conifères au look exotique qui peuplent les montagnes enneigées de l’Araucanie.

Malgré mon désir inassouvi de gravir les volcans du coin, mon ami chilien Chago Urrutia, guide chez Isoterma Cero, me dit que j’arrive ici à un moment épique. Depuis quelques semaines, il skie, avec ses compatriotes, plusieurs endroits où il est habituellement difficile, voire impossible de skier. Et conditions climatiques extrêmes obligent, cette année en est une d’exploration dans les forêts, de découvertes de nouvelles lignes à skier.

Quand la nature nous force à nous retrancher, elle nous révèle parfois des trésors insoupçonnés.

Un bon matin, alors que je rejoins Chago et deux autres camarades, Victor Astete et Pilar Fuentes, pour une autre journée de ski, ceux-ci me proposent de découvrir un endroit qu’ils qualifient de «magique»: la cordillère Las Raìces, une sous-chaîne des Andes qui, disent-ils, contient le meilleur, sinon l’unique ski en forêt du Chili.

Nous passons en van à travers le long tunnel Las Raìces, qui fait le lien entre le village de Malalcaheullo et la ville de Lonquimay. Déjà, traverser ce tunnel long de 4,5 km, à voie unique d’une largeur de 4,2 mètres, devient une expérience en soi.

Puis, une fois rendus à Lonquimay, nous prenons la route en direction de l’ancienne station de ski Los Arenales, fermée depuis quelques années. Nous montons la route jusqu’à ce que le van ne puisse aller plus loin, faute de déneigement adéquat. Nous mettons alors les peaux sous les skis et entamons la randonnée sur la route, jusqu’à ce que nous trouvions l’endroit parfait pour traverser dans la forêt.

Lorsque la pente s’accentue, entamons la randonnée dans la forêt, avançant dans une poudreuse profonde. C’est à ce moment que je prends la pleine mesure de la beauté de l’environnement qui m’entoure.

La végétation, grandement constituée d’araucarias et de coigüe (genre de bambou), est recouverte d’une épaisse couche de poudreuse sèche. Les araucarias, dont certains spécimens peuvent avoir plusieurs centaines d’années, s’élèvent sur leur tronc dénudé, laissant un espace ample pour sillonner durant la descente.

Pour les Mapuches, nation autochtone qui peuple le sud du Chili et notamment l’Araucanie, les araucarias recèlent un pouvoir sacré, divin. Ces arbres, qui résistent au climat extrême dans cette partie des Andes, symbolisent également le salut, la chance. De fait, son fruit, le pignon, leur évite la famine et devient un aliment fondamental de la culture culinaire mapuche.

À mesure que nous avançons, j’ai l’impression de me promener dans une forêt sacrée, de gravir un temple naturel. Les bourrasques de neige qui me frappent le visage n’entachent pas mon émerveillement. Autour de notre petit groupe, il règne un calme monastique. Personne ne parle; la contemplation impose le silence. Le sentiment de bien-être croît; d’être ici, dans la neige, au milieu d’une forêt sacrée, de s’apprêter à descendre… Il y a quelque chose de mystique dans l’expérience.

La forêt, tantôt dégagée, tantôt plus dense, rappelle le type de terrain qu’on retrouve dans le nord-est; seulement la végétation diffère.

Nous amorçons une première descente. L’inclinaison de la montagne est assez prononcée, de sorte qu’à chaque virage nous plongeons dans la poudreuse jusqu’à la taille. La neige est légère et peu compacte, caractéristiques rares dans le sud du Chili.

Parfois, la végétation se resserre pour nous obliger à suivre de petits couloirs délimités par des arbustes, avant de s’ouvrir à nouveau en clairière.

La descente s’arrête à la route où, à nouveau, nous remettons les peaux afin de répéter une deuxième, puis une troisième, puis une quatrième fois…

Ainsi, nous oublions le temps.

Le temps n’est plus un facteur
La conscience prend de l’ampleur
La nature figée nous accueille dans sa splendeur
Nous sommes seuls, si minuscules au sein de cette grandeur.

Au Chili se trouve cette cordillère oubliée
Un paradis enneigé
Où les racines donnent naissances à des arbres sacrés
Qui nous offrent un refuge pour skier.

C’est alors que le ski devient mystique.

Pour plus d’informations sur le ski dans la région de l’Araucanie

Corralco Resort de Montana: www.corralco.com / www.facebook.com/Corralco

Isoterma Cero: www.isotermacero.cl/es / www.facebook.com/isoterma.cero

Portail de Malalcahuello: www.malalcahuello.cl

Portail de Lonquimay: www.mlonquimay.cl/web

*Ce récit a été originalement publié en 2017 mais son contenu est encore d’actualité!

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Son intérêt pour la nature et le grand air se décline en deux principales activités : le ski alpin (sa grande passion) et la randonnée en montagne. Rédacteur professionnel dans la vie de tous les jours, et prenant un malin plaisir à photographier les paysages d’hiver et les skieurs lorsqu'il pratique son sport de prédilection, Pierre aime écrire sur le ski et partager ses expériences, photos à l’appui.