Ce récit est le début de la série « Histoires de patrouille ». Ces histoires, rédigées ou racontées par des patrouilleurs de partout au Québec, qu’ils soient retraités ou encore actifs, ont pour but d’humaniser le titre qui fait souvent frémir les skieurs et planchistes en station. Être patrouilleur, c’est bien plus que porter un uniforme, une radio et une trousse de premiers soins… c’est une histoire de dévouement, de passion pour le ski, l’entraide, l’esprit d’équipe et le don de soi. Nous espérons qu’à travers ces récits, votre perception de ceux qui sillonnent les pistes pour assurer la sécurité des skieurs changera pour le mieux!
L’arbre n’a pas bronché au moment où Alexandre l’a frappé de plein fouet après avoir perdu le contrôle de ses skis dans un virage serré de l’Intrépide au Mont Tyrol. Le choc fut tel qu’il a subi plusieurs blessures internes et a perdu conscience sur les lieux de l’impact. Cynthia, qui skiait sur la même piste, s’est arrêtée immédiatement pour lui porter secours. Devant l’ampleur des dommages, elle ne pouvait qu’intercepter un autre skieur pour lui demander d’aller chercher les patrouilleurs au bas de la piste.
Mon nom est Philippe. J’ai à peine 17 ans et je viens tout juste de compléter ma formation à l’école de patrouille. Mon quart de travail au Mont Tyrol débute à 17h, mais je suis déjà dans le stationnement de la station vers midi, avec mon uniforme de patrouille, puisque j’y reconduis un autre patrouilleur qui débute à 13h.
Aussitôt sortis de la voiture, mon collègue est d’ailleurs appelé à se rendre dans une piste de ski de fond pour porter assistance à un blessé. Il s’y dirige immédiatement, rempli de l’adrénaline qui ne manque pas de monter à la perspective d’avoir à traiter un cas.
Ce n’est pas que les patrouilleurs recherchent les accidents. C’est qu’on leur a enseigné qu’au bout d’un appel, tout peut survenir. Dans plusieurs cas, l’appel débouche sur une blessure mineure, ou s’avère même non-fondé. Pour le nouveau patrouilleur, l’adrénaline est, par contre, toujours au rendez-vous, jusqu’à ce que la situation soit désamorcée.
En regagnant ma voiture, je suis à mon tour interpellé pour un incident dans une piste éloignée. Étant seul patrouilleur visible à cette heure de la journée où les équipes disponibles sont au diner et les autres déjà en intervention, je demande au préposé des remontées d’aller chercher des renforts de la cafétéria pendant que je me dirige du plus vite que me permet la remontée vers le site d’accident.
Il est à noter qu’à cette époque, il n’y a pas de walkie-talkie, et encore moins de téléphone cellulaire; la communication avec les patrouilleurs s’effectue de vive voix, ou par un code en coups sifflet! Le destin aura donc frappé à ma porte ce midi là, il faut le souligner: Alexandre, dans l’Intrépide, allait me servir une solide leçon.
Assis dans la remontée mécanique, j’observais déjà le supposé site d’accident, de très loin, pour n’y distinguer qu’une forme allongée près d’un arbre, et une personne à côté. Je serai effectivement le premier patrouilleur à arriver sur les lieux de ce qui paraissait déjà être un cas réel, bien fondé et intriguant. Comme prévu, l’adrénaline est au rendez-vous pour ma première intervention à vie comme secouriste. L’immobilité de la victime, son isolement et le silence entourant la scène augmentent grandement ma curiosité.
Arrivé sur les lieux de l’accident, je constate immédiatement que mon premier cas ne sera pas facile. Tous les ingrédients qu’on m’a enseignés sont au rendez-vous: Alexandre est inconscient, son corps entoure l’arbre qu’il a frappé, gisant dans une neige profonde en dehors de la piste. Il gémit, respire bruyamment et avec difficulté, et ne réagit à aucun stimuli. Mon premier réflexe, inculqué et martelé par mes instructeurs Daniel et François, est de protéger la respiration et l’immobilité de la victime jusqu’à l’arrivée des renforts, dans un protocole que nous appelions alors ARCHIS, ancêtre de « L’ABCD » des premiers soins.
Après ce qui m’a semblé une éternité, mais en réalité une quinzaine de minutes, l’équipe des patrouilleurs en devoir est arrivée, dont les réconfortants instructeurs de premiers soins de notre station, qui ont tôt fait de m’assigner à une tâche secondaire, à ma demande. Pas question ici pour moi de conserver la direction de ce cas par orgueil ou témérité.
Alexandre sera consécutivement placé sur une planche dorsale, extirpé de la neige profonde pour prendre la direction en traineau, puis du chalet de patrouille au bas de la pente. L’opération totale aura pris près de 40 minutes en raison des conditions de neige. Quarante minutes avant que Alexandre ne soit confié aux ambulanciers.
Nous l’apprendrons le jour même, Alexandre n’a pas réussi à s’en sortir. Une hémorragie interne aura eu raison de lui pendant son transport en ambulance vers l’hôpital. De mon côté, j’ai longtemps combattu l’idée avec mes confrères patrouilleurs que nous aurions pu faire plus. Mais nous en sommes venu à la conclusion que si un quelconque dieu avait voulu mettre notre équipe à l’épreuve, Alexandre aurait dû être réchappable.
30 ans plus tard, je constate que le baptême du feu que m’a fait vivre Alexandre a influencé le cours de mon existence.
Parce qu’une fois bien plongé dans le monde des patrouilles de ski par cette épreuve, j’ai commencé à découvrir et cultiver des liens profonds avec des gens formidables que je n’aurais jamais connu autrement, n’eut été cette piqûre qu’il m’a donné. Ces liens ont résisté à l’épreuve du temps malgré les changements d’écoles, d’emplois et de déménagements que la vie génère. Pour moi et pour la majorité des patrouilleurs que je connais, l’expérience patrouille a largement dépassé la simple activité sportive du ski, et c’est encore plus vrai dans notre monde où sont numérisés les contacts sociaux. Si jamais vous hésitez à intégrer les rangs d’une patrouille de ski, parlez-en aux patrouilleurs de votre station, et joignez leur équipe dès maintenant.
Et pour conclure cette première histoire de patrouille, mon dernier mot sera pour Alexandre. Alexandre, désolé de ne pas avoir pu en faire plus, les moyens de l’époque ne le permettaient pas; mais triste consolation, je peux néanmoins dire que nous avons tous beaucoup cheminé depuis cet après-midi du mois de décembre 1984.