Ceux et celles qui s’intéressent au télémark ou aux débuts du ski hors-piste en ont probablement déjà entendu parler. Le XCD — abréviation de Cross Country Downhill — remonte aux origines de cette renaissance qui a fait du talon levé plus qu’un simple mode d’accès au backcountry, à l’orée des glorieuses années 70. Techniquement, il s’agit d’une hybridation entre ski de fond et alpin, deux disciplines hermétiques et éloignées a priori.

Il semble que l’histoire du XCD possède une prémisse (ou un légende): une bande de patrouilleurs en station qui en ont marre de la lourdeur et du manque d’ergonomie de l’équipement alpin, spécialement lorsqu’ils ont à travailler, à marcher en piste ou à patrouiller des endroits difficiles d’accès. Ils se seraient dit: Hé, ça serait-y super si on était en ski de fond! Gages-tu qu’on pourrait même se lancer dans les pentes! Il ne restait qu’à passer à l’acte… D’autres se sont sentis appelés en voyant ces vieilles illustrations de skieurs effectuant un virage télémark durant les années 20-30… Et pour plus d’un, c’était une façon de s’initier au ski mountaineering.Dans un contexte de popularité grandissante du ski de fond, l’équation skinny skis + descente a fait voir des flammèches à plus d’un skieurs en quête de nouveauté!

Ce sont surtout les skieurs américains qui se sont distingués dans cette discipline: à l’Ouest (trois secteurs distincts : Californie, Rocheuses & Pacific Noth West) nous avons Allen Bard, Steve Barnett, Eric Burr, Rick Borkovec, Tom Carter, Craig Dostie, Nils Larsen, Paul Parker et Don Portman, notamment… À l’Est, il s’agit de Winslow Ayer, Chip Chase, John Dostal, Ned Gillette, Dickie Hall & John Tidd, entre autres.

Au départ, et paradoxalement, les pionniers n’ont pas cette fixation monomaniaque sur la technique du télémark; ils possèdent plutôt une panoplie de virages différents, en fonction des conditions — certaines techniques ayant été dépoussiérées pour ajouter de la polyvalence dans la boîte à outils du skieurs de backcountry.

Au tout début, plusieurs ont commencé à explorer les possibilités de ce nouvel art à l’aide d’équipements de ski de fond: long skis sans carres et bottes molles. Puis, par souci d’efficacité, ils ont jeté leur dévolu sur les skis à carres métalliques, étroits, combinés aux bottes de cuir et aux fixations 3 pin. Il faut ajouter qu’il n’était pas aisé de skier sur ces planches effilées aux doubles cambrures énergiques. Un des incontournables de l’époque: le Karhu XCD GT, aux cotes très sobres: 62-54-59… tout à fait dans l’esprit de la discipline.

Mais qui sont les principaux instigateurs de cette révolution? Voici quelques portraits succincts de véritables figures de proue qui ont été les premiers avocats du XCD dans les années 70!

Steve Barnett

Ce skieur autodidacte a perfectionné son art par le biais de livres anciens (publications de Fridtjof Nansen, entre autres) et de beaucoup de pratique; il est aussi celui par qui le vocable XCD va se « démocratiser ». En 1978, il publie Cross Country Dowhnhill and other stories, livre qui va instiller une véritable révolution. L’auteur aborde le ski hors-piste dans sa globalité; avec son esprit scientifique de biologiste, il expérimente, sonde, et teste toutes sortes de techniques en vue de les adapter au fjellski. Il fait sortir de l’ombre la technique du télémark et nombreux autres virages peu communs mais efficaces avec ce type d’équipement: stemabstemstem christiana, télémark, open turn, virage parallèleet autres. Barnett fut LE catalyseur de cette révolution. Sa rencontre avec Anti Titola, l’un des fondateurs de Karhu ski en Finlande, sera déterminante pour ce dernier et entraînera la création de la collection de skis XCD. Il reste encore aujourd’hui acquis aux équipements légers de type 3 pin, fixations système SNS BC, bottes de cuir ou de plastique légères.

Steve Barnett. Photo Nils Larsen

Rick Borkovec

Ex-coureur et patrouilleur de Crested Butte au Colorado, Rick Borkovec s’initie au ski de fond en 1971 en soignant une vilaine fracture infligée lors d’une descente en ski. Selon toute vraisemblance, il serait définitivement le premier à explorer les virages sur ce type d’équipement léger. Il aurait d’ailleurs été motivé par des photos du père de Stein Eriksen (une légende du ski alpin) en pleine pratique du virage télémark. Il a fait connaître sa passion par les biais des multiples magazines de ski américains qui ont publié des articles par et sur lui-même. Homme réservé, il fut paradoxalement discret malgré l’importance de ses legs et la façon dont il a disséminé le germe du virage télémark aux États-Unis.

Rick Borkovec. Photo Craig Dostie

Dickie Hall

Flamboyant personnage, Dickie Hall sait se faire aimer/détester. Détesté de ses anciens employeurs qui l’ont pris à faire fonctionner les remontées la nuit pour se taper une dernière petite descente, son renvoi alors qu’il œuvrait comme patrouilleur à Killington a définitivement été salutaire pour sa carrière: en devenant moniteur de ski de fond (il n’y connaissait rien!), il a pu cheminer vers ce désir de polyvalence en hors-piste, en descente comme en montée, à partir d’un équipement léger. On peut dire que ça l’a bien servi puisqu’il a développé des habiletés exceptionnelles. Hall a aussi su se faire aimer de ses amis; tous un peu hippies, ils passeront leurs hivers à skier dans un contexte qui ressemble à une commune, espèce de centre de ski sans but lucratif… Farouche défenseur du XCD et du télémark tel qu’on le connaît, il fonde son école (NATO: North American Telemark Organisation) et publie de nombreux et remarquables tutoriels vidéo sur le télémark. Il a fait énormément pour la cause avec et en raison de son bagou légendaire.

Dickie Hall

Le XCD moderne

On pourrait facilement penser que l’évolution du télémark actuel a supplanté le XCD; ce n’est pas tout à fait exact. Le XCD s’est toujours maintenu; il s’est plutôt créé une scission qui a permis au télémark actuel de se développer, avec la préférence pour les bottes de plastique à trois ou quatre boucles, les skis larges, les fixations à câbles, le ski en station, etc. Mais le XCD n’est pas en reste car il a su croître en accord avec ses principes de simplicité, de légèreté, de solidité, et toujours dans la modalité du talon libre. Un des axes de développement actuel du XCD se fait via la création de skis larges à écailles: Fischer, G3, Madshus, Rossignol et Voile proposent une série de skis qui représentent bien cette évolution. Ainsi, il reste toujours des irréductibles qui préfèrent l’approche extrêmement minimaliste et efficiente par sa légèreté proposée par le Cross Country Downhill d’antan… 

Il aurait été intéressant d’aborder les pratiques qui annoncent le XCD boom des années 70: le télémark de Erling Strom au Mont Assiniboine dans les années 20, le open Christie de Eric Burr le naturaliste en fin des années 60, le ski de fond familiarisé à la descente de Ned Baldwin… Tout ça pourrait faire l’objet d’une autre chronique!

Pour en savoir davantage sur le XCD historique: ce film est en italien mais c’est le meilleur qui existe à ce sujet… De la vraie skinny porn. Passez le début… le tout est superbe!

XCD actuel: trois films valent le détour:

HiyokoD ski ici avec des Fischer Silent Spider: 62-52-60

Telehiro, avec ses Fischer SBound et fixations SNS-BC

Un canadien avec ses Kom, bottes Excursion & fixations Voile à câbles

Je tiens à remercier tout particulièrement Steve Barnett, Craig Dostie (earnyourturns.com) et Nils Larsen (altaiskis.com) pour leur collaboration.

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Rodrigue vit à Québec et enseigne les arts. Skieur passionné, en station comme en hors-piste, il est toujours à la recherche de la petite planque qui lui permettra de goûter la substantifique poudreuse. Il est fou de télémark. En 3 pins, ou en fix à plaque, il est heureusement souvent à côté de la track.