Dès le 7 février prochain, les yeux qui n’étaient pas déjà tournés vers Sotchi le seront. Cette petite ville de Russie, située aux abords de la Mer Noire, n’avait jamais créé autant d’engouement que depuis que Staline avait décrété que l’endroit deviendrait le lieu prisé pour les vacances à la plage des Russes. Palmiers, climat subtropical, plages de galets, pêcheries, fruits frais… oui, c’est bien dans la pointe méridionale de la Russie que les prochains Jeux Olympiques d’Hiver se tiendront. Ceux qui pensaient que le choix de Vancouver était insensé en prendront pour leur rhume…
Un peu de géographie
Sotchi, ou Sochi, selon la translittération, est une station balnéaire accrochée à la portion est de la Mer Noire. En-dessous, la frontière avec la Géorgie. En face, sur l’autre rive de la mer, la Bulgarie. Il faut compter 1620 kilomètres entre Moscou et Sotchi, soit 20 heures de route ou… 24h de train. La température moyenne à la plage est de 23°C en juillet, et de 6°C en février. Les précipitations y sont abondantes, l’an dernier, la ville a enregistré 1644mm de pluie, tombés sur 154 jours. On parle bien d’un climat subtropical humide. Les montagnes avoisinantes appartiennent à la chaine du Caucase. Pour nous, nord-américains, voir les épreuves en direct sera bien difficile puisque les neuf heures de décalage feront en sorte que les résultats seront déjà publiés à notre réveil. Le contexte géopolitique toujours très tendu dans ce secteur de l’ex-URSS ajoute une dimension supplémentaire à l’attention qui sera portée à l’événement, chaque analyste ou reporter ayant en tête les attentats possibles. Les images des divers moyens employés pour sécuriser l’endroit (milice, patrouille, systèmes de surveillance, caméras, clôtures, détecteurs de mouvements, etc.) feront sans doute l’objet de plus d’un reportage!
Les Jeux de Sotchi… pas à Sotchi
En réalité, aucun événement olympique, si ce n’est que les atterrissages et les décollages des avions sur le tarmac de l’aéroport fraichement rénové, n’aura lieu à Sotchi directement. Les athlètes, médias et autres délégations devront d’abord parcourir 30 kilomètres vers le sud-est pour rejoindre Adler, une autre petite bourgade sur la Mer Noire. Puis, tous se dirigeront vers le village olympique approprié: trois villages ont été construits pour accommoder les visiteurs. La section côtière, « Coastal Cluster », accueillera les médias, ainsi que toutes les épreuves « glace » (patin, hockey, curling). La section montagne, « Mountain Cluster », est située à 45 kilomètres de Adler, accessible par une toute nouvelle autoroute, ainsi que par train. Le Mountain Cluster compte deux villages répartis entre Krasnaya Polyana et Rosa Khutor, les deux stations de ski recevant les épreuves « alpines ». Les deux villages accueilleront les skieurs, lugeurs, fondeurs et autres athlètes de la glisse. Les cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux se tiendront au Fisht Olympic Stadium, dans le Coastal Cluster.
Inévitablement, les controverses et oppositions sont nombreuses devant la grandeur sans commune mesure des travaux à accomplir. Comme en fait état l’excellent documentaire de The Passionnate Eye, Putin’s Games (disponible sur le site de CBC, dépêchez-vous de le visionner avant qu’il soit retiré!) le coût des Jeux a atteint un sommet inégalé, non seulement en termes financiers mais aussi en défis techniques, technologiques, en main d’oeuvre, en impacts environnementaux… Les factures gonflées sont la norme et la corruption, la règle de base. La population locale (humaine, végétale, animale et minérale) a perdu tout son sens, son pouvoir et ses possessions. L’État russe a décrété que chaque parcelle de terrain qui était nécessaire à la construction d’une quelconque infrastructure reliée aux Olympiques était désormais propriété nationale, ce faisant, évinçant les habitants de leurs résidences. Le prix payé par les résidants du secteur va donc bien au-delà de la simple valeur de leurs possessions. Comment Vladimir Poutine s’y est-il pris pour l’emporter face à Salzbourg (Autriche) et Pyongcheang (Corée du Sud)? On ne le saura jamais réellement, mais les critères d’admissibilité du Comité International Olympique semblent avoir été gommés le temps de l’annonce du gagnant…
Des leçons de Vancouver
L’une des préoccupations qui saute aux yeux lorsqu’on parle d’un climat subtropical humide, en se replaçant dans le contexte du fiasco neigeux des Jeux d’hiver précédents, c’est bien entendu la capacité de produire, entretenir, conserver, voire tout simplement accumuler la neige (naturelle ou fabriquée) sur les sites de compétition. Le climat montagneux étant quand même substantiellement plus rigoureux que celui de la plage, les montagnes où auront lieu les épreuves sont naturellement enneigées l’hiver. Les stations de ski ne sont cependant pas à l’abri des sautes d’humeur de plus en plus fréquentes de la météo, plaçant le déroulement des épreuves dans une situation à haut risque. (Pour suivre la météo, via Snow-Forecast: Krasnaya Polyana et Rosa Khutor.)
Deux mesures spectaculaires ont donc été mises en place afin de pallier à tout manque éventuel d’or blanc: d’abord, à la fin de la saison hivernale l’an dernier, au printemps 2013, l’organisation olympique a rassemblé en plusieurs lieux 450 000 mètres cube de neige, protégés par des bâches isolantes. Les calculs ont été effectués en fonction d’un indice de fonte, et les prévisions donnaient une perte de 30% jusqu’à l’arrivée de l’hiver suivant. Ironiquement, cette prévoyance sera probablement inutile puisque l’hiver semble avoir été généreux en neige naturelle jusqu’à maintenant. Puis, un gigantesque système de fabrication de neige (document pdf) a été mis en place: stations de pompage, bassins de refroidissement, canons, compresseurs, le tout à la fine pointe de la dernière technologie (quoi d’autre!). Les rumeurs les plus folles faisaient même état d’une capacité de production jusqu’à des températures extérieures atteignant 15°C… ce qui s’avère être presque le cas, puisque l’air et l’eau utilisés sont refroidis à 0°C avant d’être pulvérisés, rendant le critère de température extérieure moins déterminant.
Des Jeux de tous les records
On est donc bien loin de l’essence originale des Jeux de Pierre de Coubertin. Célébrer l’athlète et l’homme dans sa persévérance et sa force (Citius, Altius, Fortius) prend un sens très différent lorsque les prouesse techniques et technologiques de même que les dépassements de coûts et autres controverses éclipsent les performances des athlètes. Des records seront assurément enregistrés: attendons-nous à être bombardés de dates, de distances, de vitesses, de poids, de dollars, de dollars, de dollars… car le total de ceux-ci représente sans doute le chiffre le plus ahurissant d’entre tous: les Jeux Olympiques d’hiver de Sotchi valent 50 milliards de dollars. Est-ce bien raisonnable? Certes, poser la question c’est y répondre. Mais tentons de nous concentrer sur ce qui est réellement important: la qualité des hommes et des femmes qui se sont entrainé de toutes leurs forces physiques et mentales au cours des quatre (voire huit ou plus) dernières années pour donner le meilleur d’eux-mêmes durant tout au plus quelques minutes. Savourons ces minutes en tant que spectateur, cela ne nous coûtera que du temps.
*Pour les plus curieux, voici un lien pour visionner les webcams des différents lieux. Acceptez l’offre de traduction de votre navigateur!
Je tiens à remercier Jean-Luc Brassard pour son temps et ses photos! Les images qui garnissent cette chronique ont été prises lors de sa visite sur les lieux en juin 2013, alors que les innombrables chantiers étaient en cours.