En ski et en planche à neige, les gros accidents sont relativement rares. Foulures, entorses à l’orgueil et ecchymoses font partie des sports de glisse et nous les acceptons. Cependant, il arrive qu’un accident dépasse ce qui est considéré comme “acceptable” pour le skieur ordinaire. Voici le récit d’un de ces accidents et de ce qu’a été la route vers le retour en piste.

Flotter au dessus de la douleur

Fernie, Colombie-Britannique, 1er mars 2020. Couché sur le dos et bien sanglé dans le fond du traîneau, je regarde les nuages qui défilent au dessus de moi. Le masque à Entonox (la magie du protoxyde d’azote est sublime!) bloque un peu ma vue. Devant, la patrouilleuse me parle d’une voix forte. Le bruit causé par le frottement des patins du traîneau sur la neige durcie est monotone et me fait l’effet d’une berceuse. Parfois, de la neige m’atteint au visage. Bof! La balade est très étrange, la sensation est floue et onctueuse. De plus, les endorphines font merveille. Je ne ressens aucune douleur. Cependant, la réalité est moins psychédélique.

Les patrouilleuses. Photo Fernie Alpine Resort Ski Patrol.

Un os, ça casse

La très douloureuse gymnastique qu’exécute le personnel médical pour enlever ma botte révèle une double fracture ouverte. Première dose de Fentanyl. Ma blessure est sévère, c’est un cas classique de “tib-fib” (tibia et fibula, le péroné). Par contre, le segment osseux détaché d’environ 10 centimètres de long qui transperce ma jambe droite rend mon cas “un peu” plus pressant. L’hémorragie qui résulte de mes fractures requiert une intervention immédiate. Ma fixation n’a pas joué son rôle protecteur. Et hop, une heure d’ambulance vers Cranbrook dans les ombres oniriques du Fentanyl. Merci pour la deuxième dose, Doc.

Avant la chirurgie.

Une belle soirée en vue 

Coeurs sensibles, passez au paragraphe suivant. “On va passer la soirée ensemble”. Le chirurgien orthopédiste m’explique la procédure qu’il s’apprête à exécuter. Dans mon esprit embrumé, ça sonne comme un poème de Claude Gauvreau: on ne comprend rien, mais ça fait une sacrée impression. L’enclouage médullaire se fait grâce à une technique appelée “Réduction ouverte avec fixation interne”, et sous anesthésie générale. Un jeu de Meccano pour chirurgiens. Il faut d’abord débrider la plaie perforante (enlever les tissus morts et les fragments d’os). L’os est toujours sorti et il faut s’assurer de réduire les risques d’infection. L’assistante-chirurgienne procède alors au réalignement des os, les repousse dans la plaie (10 centimètres) et les maintient en place. Rien que ça. Pendant ce temps, le chirurgien principal effectue un alésage au coeur du canal médullaire tibial; il perce un trou dans le tibia sur toute sa longueur avec une perceuse. C’est dans ce canal que le clou médullaire (une longue tige) en titane est inséré. Après s’être assuré du bon alignement des trois segments du tibia, le chirurgien fixe la barre avec des vis. Dans mon cas, il en faut trois près de la cheville et deux juste sous le genou. Le péroné, quant à lui, épouse la position du tibia nouvellement repositionné permettant à la fracture de former son propre cal osseux jusqu’à l’union complète des deux extrémités. “Ça guérit tout seul!” La jambe est ensuite plâtrée. Commence alors la guérison et rapidement, la réadaptation. Le tout “agrémenté” de comprimés de Dilaudid pour contrôler la douleur. Au final, le diagnostic est favorable: je skierai l’hiver prochain, mais…

Après la chirurgie.
Le sourire est rendu possible grâce aux antidouleurs!

Ma physiothérapeute devient ma meilleure amie

Coeurs sensibles, vous pouvez reprendre votre lecture ici. Au réveil, je ne ressens aucune douleur. Je me dis: “C’est tout? Juste ça?” L’ignorance est une bénédiction. La guérison osseuse est rapide. Cependant, les muscles et les tissus déchirés par l’os auront besoin de beaucoup de temps avant de guérir et de ne plus occasionner de douleur. Il faudra plus de trois ans pour obtenir une guérison complète et pouvoir skier sans douleur. Je ne marcherai pas sur mon pied droit avant 8 semaines remplies de maladresses et de prouesses en béquilles. Cependant, je recommence à skier, maladroitement et avec beaucoup de douleur, 8 mois après l’accident. Très satisfaisant! Le rôle de ma physiothérapeute est crucial. Je la vois à chaque semaine pendant une heure, durant 4 mois. Sans la réadaptation guidée par cette experte, je sais que je resterais partiellement handicapé. Il y trop de lésions pour que tout redevienne normal sans un maximum de travail de ma part et une grande complicité avec ma physio. Elle me pousse; juste ce qu’il faut d’inconfort, et parfois, de douleur. 

Trois des 25 feuillets d’exercices préparés par ma physiothérapeute. Je les suis à la lettre.
En revenant de chez la physiothérapeute. Je planifie mes premières sorties en kayak. Elles seront brèves.

Le retour sur les pistes

Quatre mois après l’accident, je maintiens quotidiennement une discipline de réadaptation rigoureuse. Je commence à faire de courtes randonnées pédestres, du vélo stationnaire, des exercices au sol. J’en augmente progressivement la longueur et le degré de difficulté. J’ai toujours mal à toute la jambe. Parfois, c’est intenable. Durant les trois années qui suivent, j’alterne entre Ibuprofène et Naproxen. Je limite la prise de ces médicaments, que je n’aime pas, mais ils sont nécessaires à la guérison; rester trop longtemps avec la douleur m’empêche de repousser les limites. De plus, je découvre les propriétés analgésiques et anti-inflammatoires d’un onguent à base de CBD, une des molécules qui constituent le cannabis. J’augmente progressivement les charges que je transporte. Des petites boîtes au début, puis mon kayak. 

Nous sommes fin avril, en plein COVID. Je fais du vélo dans le salon. Ma jambe fait mal, mais je suis déterminé. Je vis, dors et travaille dans le salon; mon univers est très petit.

Mes progrès sont encourageants, mais ils sont entrecoupés de nombreux plateaux et même de creux. Globalement, ma jambe va de mieux en mieux. Le premier hiver après l’accident, skier est très douloureux. Faire du télémark est tout simplement impossible: la douleur est insupportable. Ma seconde saison de ski est plus facile et agréable, mais malgré tout douloureuse, surtout en télémark. Je vois quand même la lumière au bout du tunnel. Malgré cela, j’éprouve toujours un doute qui limite ma prise de risques. Cependant, c’est à la troisième saison de ski que je peux enfin affirmer que c’est presque comme avant. Je skie tout ce que je veux, mais avec un peu de retenue. Je crois qu’elle ne me quittera jamais. Faire du télémark est à nouveau un plaisir. Je sens que je sors du tunnel. Une genouillère et une chevillère élastiques font partie de mon arsenal thérapeutique après une journée de ski. En outre, quelques séances d’acupuncture ont joué un rôle positif dans la réduction de la douleur en fin de guérison.

Très lentement, le télémark redevient supportable. Puis, lentement encore, agréable.
Mars 2022, 24 mois après l’accident. Formation avancée de “rock gardening” à Baja, Mexique. La jambe va “assez” bien. De toute façon, je suis trop concentré pour y penser!
Juillet 2022, 28 mois après l’accident, expédition de 14 jours en kayak au Groenland. Le transport terrestre des kayaks chargés est très pénible pour ma jambe.

Méchante patente!

Mon accident aura été un événement majeur et formateur dans ma vie, une “méchante patente” en quelque sorte. Je n’avais jamais eu d’accident qui vaille la peine d’en parler. Ça a souvent passé proche en kayak, en escalade, en voilier, en hors-piste. Cependant, cette fois-ci, j’ai entrevu le fond de ce que je croyais être une vie d’aventures (somme toute modestes) sans fin. Je me rappelle à l’ordre régulièrement: je n’ai plus 20 ans. Je refuse toutefois d’en faire une limite. Mes pendules ont été remises à l’heure. Je skie (télémark inclus) encore et je fais toutes les activités que je faisais auparavant. Cependant, je m’impose une perspective davantage réaliste. Je préfère jouer à 80% de mes capacités longtemps encore que de me défoncer à 120%, mais une seule fois. Je sais maintenant que se fracturer des os, aussi mauvaise soit la blessure, n’est pas la fin du monde. Non, la fin du monde serait de ne plus pouvoir skier!

Avril 2022, 25 mois après l’accident. Jour de fermeture à Tremblant. Pendant quelques heures, j’endure la douleur. Mon rétablissement n’est pas terminé mais c’est quand même une victoire!
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Patrick Teasdale aime beaucoup jouer dehors. Télémarkeur depuis longtemps, il explore maintenant les possibilités du ski de randonnée alpine. Il troque volontiers sa pagaie groenlandaise ou ses skis pour une tasse d'excellent thé vert japonais. Un brin poète et idéaliste, il ne demande qu'à être émerveillé par une trouée de lumière, un chant d'oiseau ou une lame de neige. Il aime soigner ses chroniques et ses photos.