Cet article de la série des Visages du ski est une belle ironie: moi qui ai longuement disserté sur les mauvaise habitudes (et attitudes) des météorologues et autres présentateurs médiatisés du temps qu’il fait et fera, me voilà à dresser le portrait d’une passionnée de la météo dont le métier est justement de s’adresser à un vaste auditoire pour les informer des phénomènes météorologiques et de leur impact sur notre quotidien. Heureusement, Ève Christian fait partie de ces perfectionnistes qui ont à coeur les faits précis, l’exactitude et la rigueur. Portrait d’une météorologue skieuse, dont les prévisions hivernales sont toujours empreintes d’un désir de skinusite!
La voix de la météo
Si vous prêtez l’oreille à la radio de Radio-Canada, région montréalaise en semaine, vous avez assurément déjà entendu un bulletin météo ou une chronique à saveur scientifique prononcée par la voix d’Ève Christian. Chroniqueuse scientifique et météorologue prévisionniste d’Environnement Canada, elle délivre ses bulletins météo et tient un blogue touchant à toutes les sphères des sciences en vulgarisant chaque sujet avec justesse et passion. Celle qui fait partie du paysage radiophonique depuis 1988 a encore la même verve et la même curiosité qu’à ses débuts.
Fascinée par l’astronomie, voulant en faire carrière, encouragée par son père -un fervent de l’éducation supérieure- Ève Christian a complété un baccalauréat en physique (Université de Montréal) mais quelques mois plus tard, elle a réalisé que malgré tout l’intérêt qu’elle avait pour le contenu de ses cours, elle avait du mal à y trouver une application réelle et concrète. Attirée par les sciences du climat et ne voulant pas chercher des étoiles toute sa vie, elle évalue ses options et la voie de la météorologie se pave devant elle: un certificat de McGill ainsi qu’une certification comme prévisionniste d’Environnement Canada en poche, elle est embauchée au Centre météorologique canadien, où elle fait… presque tout, sauf de la météo appliquée. Les astres s’alignent et une rencontre avec Alcide Ouellet se révèle décisive; Ève entre à Radio-Canada par la grande porte et présente un premier bulletin météo à pied levé dans l’émission de Joël Le Bigot à CBF Bonjour, en 1988. À l’instar des comètes qui filent, Ève brille dans le firmament de Radio-Canada depuis ce temps…
Les quatre saisons d’Ève
D’emblée, la pétillante skieuse indique qu’elle aime toutes les saisons. Très active, elle a été initiée au ski alpin tout juste avant ses 20 ans, gracieuseté de son amoureux. Étant originaire du Mont Saint-Hilaire, le ski de fond était l’activité familiale de la jeunesse d’Ève mais la conversion vers le ski alpin s’est faite en douceur, dans les montagnes des Laurentides. La passion alpine a été transmise à la génération suivante puisque les deux enfants d’Ève, maintenant grands, enseignent à Ski Saint-Bruno, en compagnie de leur père. Fervente du Mont Sutton, la météorologue enfile les virages comme les prévisions météo et slalome entre les idées préconçues: oui, le réchauffement climatique est bien réel (« ouvrez-vous les yeux, nom d’un chien! »), et non, elle ne parlera pas du facteur éolien s’il fait -5°C avec un vent léger…
Ses yeux brillent alors qu’elle évoque les divers phénomènes et aléas météorologiques; en cette année El Niño riche en rebondissements, la voilà qui se lance dans une explication fort imagée -force gestes et mimiques- sur le courant-jet et l’effet de lac qui expliquent le sandwich vide de neige dans lequel la grande région des Cantons de l’Est se trouve depuis quelques mois: pas de doute, nous sommes en présence d’une passionnée qui n’a pas la langue dans sa poche, et qui confond les sceptiques avec une aisance déconcertante. Tout sourire, elle précise: « Mon travail n’est pas de ne pas parler des mauvaises choses… c’est de dire les choses telles qu’elles sont: si vous allez en ski par -25°C avec du vent, sachez que vous aurez besoin d’un cache-nez… mais je ne prends personne par la main, ni pour qu’ils sortent, pas plus que pour qu’ils restent chez eux! »
D’ailleurs, réglons l’histoire une bonne fois pour toutes: le facteur de refroidissement éolien n’est pas une invention des snowbirds aigris de l’hiver ou des nordicophobes. Le phénomène est bien réel… mais presque impossible à appliquer en ski alpin, à moins que vous ne pratiquiez ce sport dans un camp de nudistes! En effet, la température ressentie s’exprime lorsque vous n’avez aucune protection sur votre peau. Ainsi, si vous entendez Ève Christian dire que le refroidissement éolien sera de -34, croyez-la sur parole… si vous êtes mal habillés!
Le ski et la météo au Québec
Spontanément, que faites-vous si vous rencontrez un spécialiste de la santé? Vous lui parlez de vos petits bobos, sur le ton de la confidence, en espérant une piste de solution ou de l’empathie. Les météorologues, médecins du small talk et psychologues de la planification du BBQ et du ski, écoutent aussi vos doléances… avec la même impuissance que les infirmiers de ce monde! C’est un peu le quotidien d’Ève, qui jouit toutefois d’un léger anonymat, procuré par le fait que son visage n’est pas tous les jours à la télévision -on la reconnait davantage pour sa voix, qui a le même timbre enjoué au téléphone qu’à la radio ou en personne. Dès qu’elle est « démasquée », on lui demande s’il fera beau dans deux semaines pour un mariage, quel jour sera le meilleur pour aller en vélo, si l’hiver sera moins froid que le précédent… Inlassablement, Ève répond de son plus beau sourire « Vous savez, je ne fais jamais de prévisions au-delà de 36 heures… » On voit bien là l’amour de l’exactitude… et le refus de donner de faux espoirs!
En tant que skieuse, Ève sait mieux que quiconque l’importance qu’a la météo sur les stations de ski: capacité d’enneigement, travail des pistes, ouverture des remontées mécaniques exposées aux vents, choix vestimentaires, planifications des sorties pour avoir le meilleur des conditions… tous ces facteurs (oui, incluons l’éolien!) régissent les décisions des stations de ski ainsi que des skieurs quant aux jours passés sur les pistes. Avouant ressentir une certaine pression pour produire des chroniques positives, Ève ne se laisse toutefois pas déstabiliser et livre ses bulletins météo comme ses descentes en ski: sûre d’elle, en contrôle, avec prévoyance et humour. C’est d’ailleurs cette belle chimie qui en fait une météorologue fort appréciée de ses collègues et auditeurs -c’est un plaisir de l’entendre au 15-18, l’émission du retour à ICI Radio-Canada tous les jours de la semaine. On a aussi le bonheur d’écouter ses prévisions et ses réparties qu’elle lance à ses collègues le samedi matin, à Samedi et rien d’autre.
Descentes multiples
Excellente vulgarisatrice, Ève Christian livre des chroniques scientifiques à plusieurs émissions de Radio-Canada à travers le pays, en plus d’entretenir un blogue mis à jour hebdomadairement dans lequel elle aborde des sujets aussi variés que le terrain qu’elle skie. Jamais en panne d’inspiration et toujours inspirante, elle ose parfois des congés « skinusite » pour profiter des meilleures conditions de ski… si j’étais vous, je serais à l’affut sur son fil Twitter ou son compte Facebook pour essayer de coordonner vos sorties en ski avec les siennes!
Entre deux descentes, les confidences de télésiège se poursuivent: ce n’est pas demain la veille que vous entendrez Ève présenter son bulletin météo avec un ton pessimiste ou négatif. Elle s’avoue d’ailleurs déçue lorsqu’elle est témoin des manifestations « anti-hiver »… ou anti-été! Notre météorologue se considère chanceuse de vivre dans un pays où elle peut expérimenter les quatre saisons, même si parfois celles-ci se croisent bizarrement! Selon elle, la clé demeure dans l’adaptation: on reconnait bien la scientifique qui fait l’apologie de la capacité de l’être humain à réagir aux divers changements. Bien entendu, les stations de ski devront miser davantage sur la fabrication de neige… mais Ève est convaincue qu’un changement devra également survenir dans les habitudes de consommation des skieurs. Un petit message ici, à saveur « Carpe Diem »… saisir le jour, surtout lorsqu’il est neigeux!
Cette petite rencontre avec Ève Christian m’a un peu réconciliée avec les météorologues. J’ai eu la chance de discuter avec une scientifique à l’esprit vif et ouvert, qui partage plusieurs de mes opinions quant à la fâcheuse habitude de créer des nouvelles et d’exagérer le tout vers un sensationnalisme inutile… L’hiver n’a pas besoin de publicité négative, il a seulement besoin qu’on le prenne comme il est, en s’informant le plus justement possible! À ce propos, sur mon radar, je vois qu’on peut faire confiance à Ève Christian quant aux systèmes favorables à la skinusite à venir!