Ce récit s’ajoute à la collection de la série « Histoires de patrouille ». Ces histoires, rédigées ou racontées par des patrouilleurs de partout au Québec, qu’ils soient retraités ou encore actifs, ont pour but d’humaniser le titre qui fait souvent frémir les skieurs et planchistes en station. Être patrouilleur, c’est bien plus que porter un uniforme, une radio et une trousse de premiers soins… c’est une histoire de dévouement, de passion pour le ski, l’entraide, l’esprit d’équipe et le don de soi. Nous espérons qu’à travers ces récits, votre perception de ceux qui sillonnent les pistes pour assurer la sécurité des skieurs changera pour le mieux!

Patrouilleur: Julie Vézina
Station: Le Massif de Charlevoix
Années d’activité: 2001-2013

Après avoir patrouillé 7 ans sur les pistes de la station, une blessure m’a forcé à ne plus chausser mes skis! Du moins, pas aussi souvent que le travail le demandait. Cette blessure, survenue alors que je répondais à un appel de mitaine échappée sous un télésiège, a mis un terme presque définitif à ma carrière de skieuse… c’est un bête accident qui m’est arrivé alors que je descendais la piste, qui était fermée à la clientèle, et pour cause: une mince couche de neige poudreuse recouvrait une croute un peu sournoise qui cédait sous mon poids dans certains virages! Et bien entendu, est arrivé ce qui ne devait pas arriver: mon ski a planté sous la croute, je suis tombée et j’ai complètement tordu mon genou. Il a fallu qu’on m’évacue par traineau! Diagnostic: mon ligament croisé antérieur (LCA, pour les intimes!) a complètement cédé. Kapout.

J’ai donc été « reléguée » au travail de bureau. Oui, ce sont des risques bien présents pour les patrouilleurs! Et… quand on ferme des pistes… ce n’est pas pour le plaisir, c’est parce qu’il y a un réel danger! Mais rassurez-vous, je ne veux pas vous faire trop la morale ici, c’était une longue introduction pour expliquer pourquoi j’étais toujours au chalet même lorsque les pistes étaient ouvertes dans les dernières années! Croyez-moi, du ski de chalet, c’est pas le plus agréable quand on est passionnée du ski!

C’est d’ailleurs ma présence au chalet du sommet, ainsi qu’une rapidité d’exécution, qui auront permis un dénouement heureux à cette histoire, qui fait encore monter mon adrénaline quand je la raconte! On est le matin d’un jour de semaine, début janvier 2003. L’affluence n’est pas du tout à son maximum et c’est plutôt un petit matin tranquille dans la station, autant à la billetterie que sur les pistes. Je suis à l’infirmerie, en train de m’occuper d’un cas « matinal » qui ressemblait à un lendemain de veille. Un appel entre, mais par téléphone: c’est la préposée au service à la clientèle, qui savait que je me trouvais à l’infirmerie, qui m’appelle, légèrement en panique: « Julie! Viens vite dans la salle des casiers! Un monsieur est tombé la face en plein dans les cases! » À ce moment, j’ai une intuition: on ne tombe pas comme ça pour rien! J’ai donc laissé mon cas à une collègue et j’ai attrapé le DEA (Défibrillateur Externe Automatique) pour foncer vers les casiers.

Ce DEA, ça fait à peine deux mois qu’on l’a. On s’est servi du DEA « simulateur » lors des formations de premiers soins, on s’est pratiqué à installer des électrodes en faisant des blagues à propos des poitrines peu velues des mannequins de RCR, on a tous entendu la voix robotisée qui dit « CHOC RECOMMANDÉ », et on a tous sauvé une bonne dizaine de mannequins de l’arrêt cardiaque! La station a fait l’acquisition de cette machine après qu’on aie « échappé » un cas la saison précédente. Pour nous, c’était vraiment une question de vie ou de mort que d’avoir un DEA, et le cas vers lequel je m’en allais l’a prouvé… mais c’est une inauguration un peu stressante.

Arrivée dans la salle des casiers, je trouve le monsieur, qui est inconscient. Bien sûr, l’ambulance est appelée immédiatement, et après avoir vérifié très rapidement L’ABC, j’entame les manoeuvres de réanimation. Je parle en anglais au monsieur -bizarrement, on a pensé qu’il était anglophone, car la préposée du service à la clientèle qui m’a appelée m’a dit qu’il parlait anglais! Et comme je ne sais pas si l’homme m’entend ou non… je ne prends pas de chance, et je lui parle mon plus bel anglais de cuisine. Du renfort a été appelé pour venir m’aider, et heureusement puisque, ça peut sembler être un détail, mais je suis petite! Faire les manoeuvres (compressions, et insufflations) est très physique… Le monsieur, début cinquantaine, a une forte carrure. Je m’essouffle, mais un collègue me rejoint enfin! Le DEA recommande le choc: on appuie sur le bouton et tout semble s’arrêter. Je n’entends pas le bruit ambiant du personnel de la station qui éloigne la clientèle curieuse, je n’entends pas la radio qui confirme que l’ambulance est en route, je n’entends pas le choc qui se donne… et qui fonctionne.

Pendant les 40 minutes d’attente de l’ambulance, notre monsieur est resté inconscient, mais il avait un pouls. Son coeur battait. Son cerveau recevait de l’oxygène. Son inconscience était probablement due au choc à la tête lorsqu’il est tombé dans les casiers. Mais c’est le cas de le dire: on l’a ramené. Sans DEA, ça aurait été impossible. Sans DEA, on aurait vécu la même frustration, la même peine et la même impuissance que l’année précédente. C’est d’ailleurs ce que je ruminais intérieurement: « Toi, on t’échappera pas! ». Au final, son inconscience était souhaitable: la douleur d’un infarctus du myocarde est apparemment insoutenable.  Il est donc parti en ambulance, et dès le lendemain, on a eu des nouvelles: notre rapidité d’intervention et notre jugement, jumelés à notre formation, nous ont permis de poser les bons gestes au bon moment.

Quelques jours plus tard, on a reçu une visite spéciale: les amis du monsieur, qui venaient nous remercier. C’était plutôt émotif! On a appris d’autres détails: d’abord, il parlait français! Il n’était pas très en forme et s’était fait dire par son médecin d’être un peu plus « prudent »… et ce matin-là, il ne se sentait pas bien… il était rentré au chalet après une descente, pour se reposer et manger un comprimé antiacide, puisqu’il se plaignait de brulures d’estomac. Mentalement, on a tous un peu révisé la matière des cours sur les signes et symptômes des arrêts cardiaques… et notre monsieur revient nous voir, chaque année, même s’il ne skie plus!

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Philippe Rivest
Diplômé en droit et en relations industrielles, Philippe a mené deux carrières en parallèle: de simple patrouilleur qu'il était au moment du premier cas qui l'a marqué, il a fondé et dirige 30 ans plus tard l'I.N.S.Q. (Institut national de secourisme du Québec), qui forme plus de 1000 patrouilleurs par année dans 30 stations québécoises. Il exerce également le droit comme avocat-civiliste depuis 20 ans.