Ce récit s’ajoute à la collection de la série « Histoires de patrouille ». Ces histoires, rédigées ou racontées par des patrouilleurs de partout au Québec, qu’ils soient retraités ou encore actifs, ont pour but d’humaniser le titre qui fait souvent frémir les skieurs et planchistes en station. Être patrouilleur, c’est bien plus que porter un uniforme, une radio et une trousse de premiers soins… c’est une histoire de dévouement, de passion pour le ski, l’entraide, l’esprit d’équipe et le don de soi. Nous espérons qu’à travers ces récits, votre perception de ceux qui sillonnent les pistes pour assurer la sécurité des skieurs changera pour le mieux!

Patrouilleur: François Truchon
Station: Parc régional de Val-d’Irène
Années d’activité: 2012-…

Nous sommes le dimanche 22 décembre 2014. La météo du moment: Ta -8°C, vent modéré du NE, précipitations reçues dans les dernières 24h: 26cm, 59 cm dans les 7 derniers jours et 178cm au total de saison. Une dépression nous fait espérer entre 40 et 50 cm au cours des prochaines 48 heures. C’est la magie des Monts Notre-Dame, où se trouve en fait le Massif de la Montagne St-Pierre, au sein duquel on retrouve, à l’extrémité est, le Parc régional de Val-d’Irène. Les trajectoires de tempête au Québec aboutissent pour la majorité en Gaspésie, avec une tendance NE. Des quatre trajectoires typiques, les Nor’Easters, ou dépression du Cap Hatteras, sont les plus courues, et pour de bonnes raisons: ces systèmes peuvent générer des précipitations majeures de l’ordre des 1 à 1,5 mètre sur 3 à 4 jours consécutifs! Certaines légendes en donnent bien plus évidemment… Bref, ce préambule servait à mettre la table pour les conditions de ski. Et puisqu’une image vaut mille mots : la suivante fut prise immédiatement après la tempête dont notre histoire relate les moments mémorables…

Photo Parc régional de Val-d’Irène

14h15 – L’appel

Il est un peu après 14h00, je suis confortablement installé en compagnie d’autres secouristes dans notre remontée quadruple. La météo fait sourire tous le monde! Un appel entre  par radio: un groupe de trois skieurs seraient perdus dans la Zone Blanche! Une brève description des lieux où ils sont nous est donnée. Le groupe n’a pas les équipements appropriés: skis hors-piste et peaux d’ascension, vêtements en extra, etc. Un membre du groupe est épuisé, incapable de marcher davantage! À ce moment de la saison, le secteur de la Zone Blanche est fermé… ou plutôt, il n’est pas encore ouvert au public! C’est la première année d’opération, la signalisation n’est pas tout à fait complétée et les formations spécifiques sur le nouveau plan d’urgence pour les secouristes ne sont pas complétées! Cette tempête hâtive en saison jumelée aux conditions d’enneigement déjà supérieures à la normale a bousculé bien des préparatifs en station.

L’appel est donc entré à 14h15, un transfert de prise en charge est immédiatement effectué à l’un de nos chefs d’équipe pour les opérations régulières de la station. Je prends contact avec la direction. Il est convenu, considérant la situation particulière -nous disposons d’une fenêtre de plus ou moins une heure avant que la noirceur ne s’installe- qu’une équipe très limitée de deux individus sera dépêchée sur place le plus rapidement possible, sous ma responsabilité. Une équipe légère est plus efficace pour une intervention initiale lorsque l’on dispose de peu d’information! L’objectif: vérifier la position décrite. Si la chance accompagne le groupe, ils seront à l’endroit que j’ai en tête. Sinon, ils passeront fort probablement la nuit dehors.

Et parlant de nuit, elle risque de ne pas être de tout repos puisque le plus gros des précipitations s’en vient, que les vents souffleront fort et que la visibilité sera nulle sur le sommet partiellement dégagé de la Zone Blanche culminant au dessus de 700m d’altitude. Les Nor’Easters génèrent régulièrement des vents dépassants les 100km/h sur ces sommets! Qui plus est, avec toutes les précipitations déjà accumulés, nous nous enfonçons à mi-cuisse en marchant avec nos bottes près du sommet de la Zone Blanche! La neige au sol est non consolidée en ce début de saison, les motoneiges portent très difficilement. Il est donc hors de question de mobiliser davantage de secouristes dans ses conditions difficiles alors que notre plan d’urgence n’est pas parfaitement maîtrisé et que les membres de l’équipe de secouristes n’ont pas tous reçu la formation appropriée.

14h30 – Prise en charge de la situation

Deux motoneiges se rendent au sommet de la Zone Blanche. De là, je me dirige seul sur un sentier en direction ouest et selon la description fournie par nos aventuriers du dimanche (oui, on est dimanche!) ils ne devraient pas être trop loin… Coup de chance, ils sont précisément là où je m’attendais à les trouver! Un à un, ils sont récupérés et déplacés en motoneige jusqu’au point de rendez-vous au sommet de la Zone Blanche. De là, ils sont transportés jusqu’à la station, au chaud, en sécurité.

Concrètement, la situation n’aurait pas dû nécessiter notre intervention! Nos aventuriers se sont lancés dans le projet sans aucune planification de sortie, un véritable fiasco en termes d’organisation et de gestion de groupe! Revisitons certains points clé:

  1. Aucune recherche d’information ne fut réalisée par nos aventuriers sur le secteur concernant les caractéristiques de bases telles que la position de la montagne, les détails sur l’approche, la sortie, les conditions météos actuelles et à venir, etc.
  2. Les membres du groupe ne possédaient aucun équipement spécialisé pour une sortie hors-piste, c’est-à-dire: ski avec fixation de randonnée, peaux d’ascension, des vêtements adaptés et de rechange, du matériel d’urgence, etc.
  3. La capacité physique des membres du groupe n’étaient pas suffisante. Un groupe tout aussi mal préparé mais en plus grande forme se serait sorti de là « sur la tête », avec une bonne histoire à fanfaronner au bar en soirée! Le retour consistait à marcher avec de la neige à mi-cuisse sur environ 2 -2.5km pour revenir en station… Un bon effort certes pour une fin de journée de ski en début de saison, mais réalisable pour un individu habitué et en forme…
  4. Le groupe en soi ne possédait aucune expérience en hors-piste. Ce point est majeur considérant les facteurs précédents puisqu’un groupe avec un minimum de compétence aurait pris les bonnes décisions au bon moment et s’en serait sorti sans plus d’émoi! Il faut quand même souligner que le secteur est facile d’accès, que le choix d’itinéraire ne représente pas un défi. C’est un terrain qui n’offre pas de difficultés techniques importantes si on le compare à la majorité des itinéraires des Chic-Chocs ou encore, évidemment, aux Rocheuses!
  5. Le secteur était clairement fermé, il y avait une bonne raison pour cela, la signalisation était encore incomplète!
  6. Enfin, le point le moins reluisant probablement! Deux des trois membres de cette désormais fameuse équipe d’aventuriers étaient… des patrouilleurs d’une station extérieure.

Dans le monde de la sécurité avalanche, plusieurs points de cette aventure nous renvoient à ce que l’on appelle le « facteur humain ». Ce facteur de risque regroupe en fait la partie la moins tangible du processus de prise de décision que l’on associe à l’Homme. Ce sont typiquement des erreurs sommes toutes « banales » aux conséquences parfois tragiques. Pour un pratiquant aguerri, voire même un guide ou encore un spécialiste de la nivologie (étude de la neige), de la planification et de la prise en charge d’un groupe, le facteur humain sera souvent l’ennemi #1 au sein du groupe. Dans le présent cas, après avoir fait lumière sur les circonstances, la première question qui nous vient tous à l’esprit est: « Mais à quoi ont ils pensé!? » Réfléchissons ensemble… début de saison, conditions de neige extraordinaires, appel de la neige fraîche, premières traces… ajoutons un peu de naïveté, un membre influent aux idées douteuses, un manque de compétences initiales et bingo, la recette est complète! Plusieurs d’entre nous auraient pris le même risque…

15h30 – La conclusion

L’aventure s’est terminée dans le bureau de la direction avec un bon discours punch. Et malgré le fait que l’un des aventuriers présentait les signes précurseurs du premier stade d’hypothermie, classique des tempêtes hivernales chaudes, le tout s’est bien heureusement terminé avec plus de peur que de mal!

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Diplômé en droit et en relations industrielles, Philippe a mené deux carrières en parallèle: de simple patrouilleur qu'il était au moment du premier cas qui l'a marqué, il a fondé et dirige 30 ans plus tard l'I.N.S.Q. (Institut national de secourisme du Québec), qui forme plus de 1000 patrouilleurs par année dans 30 stations québécoises. Il exerce également le droit comme avocat-civiliste depuis 20 ans.