Il est 8h26, des bénévoles s’affairent à positionner les derniers objets qui seront utilisés dans les prochaines minutes. Une petite fébrilité est palpable dans l’air, comme avant l’ouverture d’un rideau dans une salle de spectacle. Mais aujourd’hui, les applaudissements ne seront pas pour les organisateurs: tous les regards seront tournés vers les participants qui vivront cette journée très particulière. « Ils sont là! They’re here! » 8h32, l’autobus est à l’heure. Celle qui s’exclame en deux langues, c’est Sandy Wolofsky, la fondatrice de l’organisme OuiCanSki. En ce 7 mars 2020, une cinquantaine d’immigrants découvriront les joies du ski alpin, grâce au travail de Sandy, en collaboration avec l’Association des stations de ski du Québec, et l’organisme Entre Parents, basé à Montréal-Nord.

Le calme, quelques minutes avant l’arrivée du groupe. Les équipements ont été disposés avec soin pour faciliter l’étape de la préparation de chaque futur skieur.

L’organisation multicouches

Planifier une journée d’initiation au ski alpin pour un groupe de débutants est déjà chose complexe. Si en plus on ajoute les détails logistiques que constituent le déplacement des participants, l’équipement alpin, l’habillement et l’encadrement dans la langue qu’ils comprendront le mieux, on se retrouve avec des couches multiples de défis qu’il faut abattre bien avant que les participants ne fassent leurs premiers virages! C’est donc tout un exploit logistique, temporel et financier que de réussir à faire venir cet autobus de Montréal à la station de ski Chantecler.

Sandy Wolofsky accueille les participants avec une énergie contagieuse.

Les portes de l’autobus s’ouvrent et dans une joyeuse cacophonie, enfants et parents descendent les quatre marches, puis figent quelques pas plus loin: certains  sont un peu endormis par le trajet, d’autres complètement ébahis par la vision qui s’offre à eux. Des pentes bien larges, bien blanches, des remontées mécaniques, des skieurs déjà occupés à dévaler les pentes et à prendre place dans les télésièges… tous ces gestes à apprendre, tous ces mots à découvrir, toutes ces sensations encore inconnues!

Les familles se dirigent vers le chalet tout en observant les pentes de ski.
La directrice de l’école de glisse explique le déroulement de l’avant-midi aux participants.

Les bénévoles dirigent les participants à l’intérieur du chalet pour les aider à s’équiper. Les bottes, casques, et plein d’accessoires pour combler les oublis/manques sont disposés pour permettre à chacun de s’installer et d’enfiler -tant bien que mal- tout ce matériel qui, pour certains, peut s’apparenter à une armure de soldat! Boucler les bottes de ski, ajuster le casque, et vite, sortir avant qu’il ne fasse trop chaud une fois le manteau fermé: voilà le groupe en place au pied de la pente école. Ouf! Il est 8h57. Le début de la leçon, d’une durée de deux heures, est prévu pour 9h00.

La marmaille semble un peu dubitative devant l’équipement à enfiler!
Il vous manque des gants? Des mitaines? Pas de problème, on a ce qu’il faut!
Voilà comment on ajuste un casque!

Une fois dehors, dans le regard des participants, l’incrédulité fait place à une légère appréhension qui s’estompe quelques minutes plus tard. Les rires éclatent rapidement lorsque les premiers à chuter dans la neige réalisent que c’est moins douloureux que sur du ciment. L’apprentissage de la glisse viendra, pour l’instant, il faut apprendre à marcher avec les bottes de ski! Les moniteurs de l’école de glisse prennent en charge les skieurs et subdivisent les groupes. Le plan de la prochaine heure est plutôt simple: on apprend à mettre les skis, glisser en petits pas sur une surface plate, monter « en escalier », puis on emprunte le tapis convoyeur pour parvenir au sommet de la pente école. De là, plusieurs circuits sont installés, avec des cônes, petits balais et autres cerceaux, permettant aux nouveaux adeptes de se familiariser avec le freinage, les virages et le contrôle de la vitesse. La deuxième heure sera vouée à consolider les acquis.

Plusieurs moniteurs sont requis pour l’opération “charme sur skis” créée par OuiCanSki.
Un groupe reçoit les consignes pour apprendre à glisser: les premiers mouvements se font sur un seul ski.
Direction, la pente-école!

Les faire devenir des « nous »

Cet apprentissage peut sembler banal pour les skieurs qui sont « tombés dedans quand ils étaient petits ». Mais il en est tout autrement pour les immigrants qui sont souvent très réticents à embrasser l’hiver et tout ce qu’il comporte. Bien souvent, pour eux, il y a les « eux » et il y a les « nous ». Les « eux », ce sont eux, immigrants, qui sont catapultés au Québec à partir d’une toute autre réalité, et qui voient l’hiver comme une forme de mal nécessaire, au travers duquel il faut survivre, sans nécessairement chercher à en tirer de plaisir. Ceux qui ont du plaisir, c’est les « nous », qui avons appris dès notre tout jeune âge comment s’habiller, et comment mettre à profit toute cette neige et cette glace qui permettent le ski alpin, le ski de fond, la raquette, le patin… comment transformer les « eux » en « nous »? C’est la réflexion qui tenaillait Sandy Wolofsky pendant plusieurs années, jusqu’à ce qu’elle mette sur pied OuiCanSki en 2018. Évidemment, le « Oui » est un jeu de mots bilingue, puisque lorsque prononcé à voix haute, on entend « We » comme « nous ». Le « Can » est pour Canada, mais un autre jeu de mots est possible avec « pouvoir ».

Il faut immortaliser ces sourires!
Les moniteurs sont tous très attentionnés et vérifient soigneusement que les futurs adeptes ont bien saisi le fonctionnement de l’équipement.

Sandy est elle-même issue d’une famille d’immigrants: ses grands-parents sont arrivés en tant que réfugiés dans les années 1920 et ont rapidement voulu s’intégrer dans la communauté qui les accueillaient. Une des manières d’y parvenir fut d’apprendre à skier sur les pentes du centre jadis situé sur le Mont Royal. Dans les archives de la famille Wolofsky, on trouve d’ailleurs de très vieilles vidéos montrant les grands-parents de Sandy, ainsi que sa mère et son oncle, en train de dévaler les pistes montréalaises, ce qui explique pourquoi elle-même est « tombée dedans quand elle était petite ». Elle constate « avoir eu un billet de loterie gagnant sans avoir eu besoin de l’acheter », grâce à tous les efforts d’intégration faits par sa famille. La création de OuiCanSki est donc une forme d’hommage aux générations la précédant, pour remercier ses grands-parents d’avoir insufflé l’importance d’apprécier l’hiver au sein de toute la famille. Cette action, croit-elle fermement, permet de créer davantage de « nous », en intégrant les « eux ».

Sandy Wolofsky, satisfaite du déroulement de la journée à Ski Chantecler.

Abattre les murs invisibles

Il est maintenant 11h00, la leçon de ski est terminée pour le groupe fraichement initié. On retrouve les nouveaux adeptes, qui ne sont plus du tout les débutants hésitants et craintifs du début: les plus habiles montrent leurs prouesses avec fierté, devant le regard admiratif des bénévoles et moniteurs. La transformation est complétée avec une collation aux saveurs québécoises, des biscuits Félix & Norton, et une lampée de sirop d’érable! Les bouches se remplissent mais les sourires ne sont pas moins grands car l’endorphine du sport se conjugue avec la dopamine des papilles. C’est mission accomplie pour Sandy Wolofsky et tous les acteurs qui ont veillé au bon déroulement de cette journée; les applaudissements fusent, chaque participant se félicite: certains ont abattu des craintes, d’autres des murs invisibles. En date de ce 7 mars 2020, il y a désormais plus de « nous », moins de « eux ».

Biscuits et sirop d’érable: parfait pour se remettre des émotions vécues en ski!

Garder la roue en mouvement

La pandémie a bien sûr mis un énorme frein sur toutes les activités prévues par OuiCanSki. [NDLR: Cet article devait d’ailleurs être publié quelques jours après le 7 mars 2020, il dort dans les cartons virtuels de mon disque dur depuis ce temps.] Heureusement, en 2022-23, Sandy Wolofsky est enfin en mesure de redémarrer les activités de OuiCanSki. Le 19 février dernier, un groupe de réfugiés de la guerre d’Ukraine a découvert le ski de fond au Camping Ste-Agathe. La prochaine activité de ski alpin aura lieu à Ski Montcalm, le 19 mars prochain, alors que deux groupes seront initiés aux joies de la glisse. Cette journée sera la plus grosse organisée par OuiCanSki jusqu’à maintenant! L’organisme attend un autre groupe de réfugiés de la guerre en Ukraine, ainsi qu’un groupe de nouveaux arrivants d’origines variées. D’ailleurs, depuis sa création en 2018, OuiCanSki a initié des skieurs venant de 23 pays différents!

Comme toutes les autres journées OuiCanSki, la participation est accessible à très faible coût grâce à l’implication de divers organismes et associations. La journée du 19 mars prochain a été coordonnée avec l’Agence Ometz, l’Association des stations de ski du Québec, et Ski Montcalm. La généreuse contribution de Gants Auclair permet à tous les participants d’avoir les mains au chaud lors de l’activité. Mentionnons au passage que Sandy Wolofsky fait la femme-orchestre et est bien souvent seule à tout planifier, de l’horaire sur papier à l’accueil en station le jour-même: si vous souhaitez vous impliquer en tant que bénévole, que ce soit pour la journée du 19 mars 2023 à Ski Montcalm, ou pour de futures activités, vous pouvez contacter Sandy via ouicanski@gmail.com

Le groupe de nouveaux skieurs à Ski Montcalm, le 7 mars 2020. Photo Gabrielle Larose (ASSQ)

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Adepte de plusieurs sports de glisse, Geneviève sépare son temps entre le plein-air, le tourisme, la production de contenu écrit et les photos de chats. En station, vous la retrouverez dans un sous-bois, occupée à contempler le paysage entre deux virages.