On en connait tous un. Vous savez, celui qui a toujours raison. Forcément, le client a toujours raison, me direz-vous… non, là, je ne parle pas de ce client, qu’on respecte parce qu’il consomme gentiment. Je parle du client-roi, qui s’arroge le droit de râler en permanence, de cracher sur les fournisseurs du produit qu’il achète, de mépriser les autres consommateurs, et de faire la crise du bacon quand il est mécontent… voyez de qui je parle? On en connait tous un.

Ce client-roi, appelons-le Rodrigue (Avis: tous les noms et les personnages de cette chronique sont fictifs. Toute ressemblance avec quiconque d’entre vous est donc purement… fortuite!) donc, notre client-roi, Rodrigue, consomme, achète, dépense, bref, utilise ses dollars comme bon lui semble.

Rodrigue fait partie de la population de skieurs, ce qui lui achète instantanément le droit de chiâler sur l’hiver: si ce n’est pas quand il reste pris dans le banc de neige, c’est parce qu’il n’y a pas assez de neige pour skier. Qu’à cela ne tienne, Rodrigue est quand même futé: il a acheté un abonnement saisonnier de soirée dans une grande station, réputée pour son ski de soirée, sa période d’ouverture très vaste et son incroyable arsenal de canons à neige. Voilà de quoi faire un beau doigt d’honneur à Mère Nature: pas besoin de toi pour skier!

Cette situation pourrait être banale si Rodrigue n’était pas un client-roi. N’importe quel skieur sait et comprend que même si on arrive à produire une neige fabriquée de grande qualité, le reste appartient aux aléas de la nature; j’évoque ici le froid, le vent, les redoux, le soleil, les nuages, les bris de conduites d’eau (euh…) bref, tout ce qui rend les conversations d’ascenseur si pertinentes.

Rodrigue, lui, ne parle pas de météo dans les ascenseurs. Non. Rodrigue croit qu’on devrait légiférer pour restreindre le champ d’action de Mère Nature (Y doit bien y avoir quelque chose à faire dans le Nord, tout le monde parle du Nord!), et croit aussi qu’on ne dépense pas assez pour contrer les conneries des saisons. Parce que lui, en tant que consommateur, il ne peut pas consommer assez à son goût à cause des saisons. Ce serait tentant de dresser un profil politique de Rodrigue mais je divague…

Donc, cet hiver, Rodrigue est mécontent.

D’abord, sa station a démarré ses opérations avec quelques jours de retard sur la date initialement calculée. (Bande d’incompétents, savent pas planifier!?) Ensuite, les Fêtes ont été tellement populaires que Rodrigue n’a pas pu profiter pleinement de son ski, la station était beaucoup trop achalandée. (Bande d’incompétents, devraient contrôler l’accès pour que ça reste sécuritaire!) Puis, est venue l’énorme bordée de neige, qui a tenu Rodrigue bien occupé entre deux tourtières et trois dindes (et je ne parle pas de la visite). Le mois de janvier n’avait pas trop mal commencé, mais vlà-t’y-pas le redoux qui pointe son nez! (Bande d’incompétents, savent pas produire de neige quand il fait 5 degrés!?) Et là, double-couche de glaçage (!) sur le gâteau, la vague de froid permet aux stations de remettre l’enneigement en route, mais il fait si froid que par mesure de sécurité, celles-ci ferment l’accès au ski de soirée. Qui plus est, Hydro-Québec demande à la population et aux entreprises de restreindre leur consommation d’électricité afin de ne pas surcharger le réseau de distribution.

Rodrigue est hors de lui. Il a payé pour un abonnement complet. Il veut sa saison complète. C’en est trop, il doit s’exprimer à sa station. Rodrigue étant un client-roi, il sait qu’il a raison. Et il sait qu’il est dans son droit. Alors il se lance: il veut skier ses soirées, il est au courant de la météo mais ce n’est pas son problème, la station n’a aucune bonne raison de fermer, s’il a envie de défier le froid intense ça ne regarde que lui, la station se DOIT d’être en opération ou il exige un remboursement! Voilà! La balle est dans votre camp!

… Cher Rodrigue.

Que dire.

D’abord, Rodrigue, au nom de tous ceux qui sont tombés sur ta montée de lait caillé, merci! Un énorme merci pour ce fou-rire. Ensuite, en mon nom personnel, merci. Car tu m’as donné l’inspiration de cet éditorial.

Mais Rodrigue, rassure-toi… ma mansuétude est telle que j’expose même des solutions à ton problème. Car moi aussi je suis concernée par ton mécontentement… nous le sommes tous! Allons donc, un peu de solidarité entre skieurs.

Alors, Rodrigue, voici ce que je te propose. Plusieurs choix s’offrent à toi:

  • Deviens opérateur de remontée mécanique, et actionne la remontée pour pouvoir l’utiliser. Ainsi, tu n’auras plus jamais à dépendre de quelque station que ce soit pour pouvoir monter en haut d’une piste (que tu pourrais au demeurant monter à pattes et descendre à la frontale, mais c’est trop d’effort, je comprends…)
  • Installe une éolienne au sommet de la station de ski: les mégawatts produits par l’éolienne alimenteront directement la station, qui n’aura plus à écouter les recommandations d’Hydro-Québec en matière d’économie d’énergie. En plus, en tant que propriétaire de l’éolienne, tu recevras des dividendes pour chaque mégawatt supplémentaire produit!
  • Avec les dividendes, investis en R&D pour trouver un moyen de créer un champ électromagnétique qui saurait protéger la station des variations climatiques, de manière à te créer un «snow globe» grandeur nature. Une fois que tu auras développé le concept, vends-le… tu seras riche! Ton éolienne ne sera plus utile mais who cares!
  • Et tu pourras déménager à Dubaï: on y fait du ski 365 jours par année, à l’intérieur, sans problème de vent ou de froid! Ça, c’est dans la gueule de Mère Nature!
  • Si au bout de quelques années, l’air extérieur te manque, avec les intérêts de tes placements (mais oui tu as vendu une invention géniale!), achète une station de ski bien à toi. Tu pourras ainsi apprendre tous les rouages de l’entretien de l’équipement sollicité par les conditions extrêmes, gérer ton propre personnel, les équiper d’habits polaires, leur fournir une assurance collective couvrant les engelures et les payer assez grassement pour qu’ils endurent les pires conditions climatiques juste pour toi!
  • Et pour terminer, engage quelques pilotes de drone: du confort de ton sous-sol, tu pourras aller faire éclater les nuages, casser les ouragans, et faire neiger sur commande.

C’est-y-pas-bioutifoul? Y’a rien qu’on peut pas faire quand on est un client-roi pur et dur!

Égoïste, va. Je te souhaite de vivre une évacuation de télésiège par -15 degrés avec des vents nordets à 25km/h, tiens. Une petite hypothermie va peut-être te refroidir le chiâlage… Mais j’oubliais, en tant que client-roi, tu seras bien en droit de poursuivre la patrouille de la station parce qu’elle n’aura pas agi assez rapidement!

T’sais quoi, Rodrigue? Arrête le ski. C’est pas bon pour ton coeur. Ni le nôtre. J’y pense… y’a des bons prix pour Punta Cana ces temps-ci…

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Adepte de plusieurs sports de glisse, Geneviève sépare son temps entre le plein-air, le tourisme, la production de contenu écrit et les photos de chats. En station, vous la retrouverez dans un sous-bois, occupée à contempler le paysage entre deux virages.