Nul besoin de s’appuyer sur les plus récents chiffres de Statistique Canada pour affirmer que les familles changent. Le taux de natalité moyen ainsi que le nombre de divorces ont grandement modifié la définition de la famille nucléaire telle qu’on nous l’expose dans les beaux livres d’histoire. Ces changements ont bien entendu eu un impact sur la consommation des biens et services, incluant les loisirs. Nombreux sont ceux parmi vous qui se sont déjà questionné en cherchant le forfait le plus avantageux pour une situation familiale donnée: la famille parfaite Papa-Maman-les-deux-beaux-enfants constitue aujourd’hui une exception qui ne confirme plus la règle! Le Mag de ZoneSki s’est donc intéressé aux adaptations que les stations de ski ont bien voulu apporter à leurs produits pour répondre aux besoins d’une clientèle moderne, exigeante, et (parfois) difficile à suivre, ainsi qu’à l’aspect légal de cette préoccupation.

Cet article porte sur une situation familiale bien précise, qu’il vaut la peine d’exposer en guise de mise en contexte. Imaginons une famille éclatée, dont le père et la mère ont à tour de rôle la garde de leurs enfants (en garde partagée ou exclusive). Forcément, les enfants vivent à deux adresses différentes, mais pour bien des administrations, une seule adresse ne peut apparaître au dossier d’un enfant. (Oui, une tare en 2014! Certaines commissions scolaires auraient d’ailleurs intérêt à revoir ce détail.) Inévitablement, un des deux parents ne recevra pas de courrier pour ses enfants, qu’il s’agisse des bulletins scolaires ou de la carte d’assurance maladie. C’est ce simple détail administratif qui constitue un casse-tête pour bien des familles, surtout lorsque vient le moment de prouver un lieu de résidence, puisqu’on sait que ce type de preuve est presque systématiquement exigé lors de l’achat d’un abonnement familial. Et bien entendu, le portrait ne serait pas complet si l’on omettait la mention du nouveau conjoint -qui doit obligatoirement être conjoint de fait avec le parent afin de pouvoir figurer au tableau familial. Tout ce beau monde veut quand même aller en ski, en famille!

La situation globale

Réglons le cas du nouveau conjoint: une preuve de résidence à la même adresse que le parent suffira la plupart du temps. C’est pour les enfants que ça se corse! Dans la majorité des stations de ski, en cas d’adresses différentes entre le parent et la progéniture, on utilisera le gros bon sens. Luc Saint-Jacques, de Owl’s Head, commente: « Notre réglementation et notre façon d’inscrire les noms et adresses sont restés traditionnels, mais on n’a jamais refusé une famille sous prétexte que les enfants ne sont pas sous le même toit. Souvent, les enfants portent les deux noms de famille, alors ça aide! » Même son de cloche au Mont Orford: « On est super accommodants, on a déjà de la difficulté à encourager le sport, je vois mal comment on pourrait refuser des gens qui veulent skier en famille! C’est sûr que si on a des doutes de collusion on pose davantage de questions, mais on aime être de bonne foi », conclut Luc Chapdelaine.

Certaines stations sont un brin plus pointues dans leurs politiques, sans toutefois aller jusqu’aux tests d’ADN (ouf!). Le Mont SUTTON, Ski Saint-Bruno, le Mont-Sainte-Anne et Stoneham, le Massif du Sud, le Mont-Saint-Sauveur et le Massif de Charlevoix demanderont tous d’abord une preuve de résidence commune, mais en cas de différence, un bulletin scolaire ou un certificat de naissance servira à prouver le lien parental. Beaucoup de ces stations ont aussi développé des abonnements pour famille monoparentale, cassant du coup l’image de la famille classique « 2-adultes-2-enfants ». Andréanne Raby, du Massif du Sud, suggère également de préparer un formulaire du même type que celui utilisé pour les voyages hors du pays: le parent qui voyage doit obtenir l’assentiment de l’autre parent pour voyager avec les enfants. Cette procédure est légale et grandement répandue au sein des familles éclatées/reconstituées.

Chez Ski Bromont, le service à la clientèle est très strict, principalement dû au très gros volume d’abonnements annuels vendus à chaque saison. Francine Gouin précise: « Souvent, si le forfait familial classique ne convient pas à la famille pour une raison quelconque, on essaie de les diriger vers d’autres produits, qui sont généralement plus flexibles et qui répondent mieux aux besoins des gens. » Par le passé, à plus d’une reprise, les conflits familiaux ont même débordé de l’autre côté du comptoir du service à la clientèle, forçant Ski Bromont à prendre des décisions: « Il faut tracer une ligne et s’y tenir, sinon c’est toute la qualité du service qui diminue! On a déjà fait face à des parents en colère de ne pas pouvoir utiliser un abonnement acheté par l’autre parent, ou qui nous demandaient carrément de ne pas vendre un abonnement à un enfant parce qu’eux-même en avaient acheté aussi, ou refusaient d’en payer une partie. Ce type d’abus et de situation n’a pas sa place hors des familles et nous avons dû faire le choix d’être stricts. » Bien que Ski Bromont ne soit pas dénué d’écoute et conscient des réalités familiales actuelles, la station a pris la décision de développer davantage de produits d’abonnements afin de continuer à répondre aux besoins de la clientèle plutôt que de s’embêter avec des formalités administratives. Au final, les stations de ski se sont « adaptées » aux diverses situations familiales mais la leçon à retenir est d’arriver plus préparé que moins: preuves de domicile, bulletins scolaires, certificats de naissance et lettre assermentée devraient être prêts dans votre sac afin de vous éviter un volte-face au comptoir du service à la clientèle.

L’aspect légal

Si vous vous retrouvez dans une situation où on vous refuse un abonnement de type familial si vous ne répondez pas aux critères, il pourrait être fort judicieux de passer un bref coup de fil à votre avocat car celui-ci sera en mesure de vous conseiller adéquatement. Me Marie-Laurence Morin, avocate en droit familial spécialisée en médiation, insiste sur le concept de « famille »: « Étonnamment, en droit civil québécois, il n’y a pas de définition officielle du terme « famille ». Le Code Civil dédie pourtant tout un livre au « droit de la famille », mais les droits et obligations qu’il contient sont essentiellement attribués selon les liens conjugaux (mariage, union de fait, conjoints) et parentaux (filiation). Il y aurait lieu d’en déduire qu’une famille serait un regroupement de personnes ayant l’un de ces liens avec une personne donnée, mais les législateurs et magistraux semblent frileux à l’idée de se prononcer sur la question. » 

En discutant des exigences des stations de ski en terme de preuves, Me Morin ajoute: « Il faut comprendre que l’achat d’une passe de saison est une transaction commerciale et qu’en l’absence de balises légales claires et surtout obligatoires, nous devons nous en remettre à la définition donnée par le contractant (la station de ski) dans son entente de service. Plus cette définition est large, plus il vous sera possible d’argumenter avec lui dans le but d’avoir accès à la promotion. Vous comprendrez donc pourquoi chaque station a sa définition plus ou moins restreinte du concept de famille et pourquoi certaines réalités ne sont pas prises en compte, volontairement ou non. »

Est-ce permis d’exclure certaines formes familiales? Me Morin poursuit: « Chaque commerçant demeure libre de choisir les conditions d’application de ses promotions pourvu qu’elles n’aillent pas à l’encontre de la législation et ne soient pas discriminatoires. Ainsi, le fait de n’accorder le droit à l’achat d’une passe familiale qu’aux familles constituées de parents mariés (statut matrimonial) ou de sexes opposés (orientation sexuelle) irait à l’encontre de la Chartes des droits et libertés de la personne. » Mais est-il possible d’exiger que les deux adultes aient un lien de filiation avec les enfants? Ou que le parent ait la garde légale de ceux-ci? Qu’en est-il des stations qui exigent une autorisation écrite de l’autre parent? « Malheureusement, toute exclusion n’est pas nécessairement discriminatoire. Ce sera alors à vous de négocier avec le service à la clientèle et leur exposer de façon raisonnée pourquoi leurs critères d’attribution créent des situations d’injustice et vont à l’encontre du « gros bon sens civique ». De nos jours, l’opinion publique peut avoir un poids assez persuasif! » conclut l’avocate. Nous voilà donc bien avertis…

Pour référence:

art.15 de la Charte canadienne des droits et libertés de la personne 

art.10 de la Charte des droits et libertés de la personne québécoise

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Adepte de plusieurs sports de glisse, Geneviève sépare son temps entre le plein-air, le tourisme, la production de contenu écrit et les photos de chats. En station, vous la retrouverez dans un sous-bois, occupée à contempler le paysage entre deux virages.