Sans surprise, je préfère toujours réaliser un portrait à titre non-posthume… JP Auclair figurait sur ma liste, j’attendais “le bon moment”. Le bon moment pour l’approcher, un moment qui puisse bien se caser à travers toutes ses obligations et son emploi du temps. C’est donc avec la stupeur partagée par l’entière communauté de skieurs que j’ai appris l’accident qui l’a emporté au Chili. Toujours tragique, jamais prévisible. Toujours regrettable, jamais imaginable. On se prépare pour le pire, même si on espère le meilleur… JP était de ceux qui ne prennent aucune décision à la légère, aucun risque non-calculé, aucun choix sans soupeser longuement. Sage, averti, avisé, conscient, allumé, les superlatifs ne manquent pas pour illustrer la personnalité de ce pionnier du freeski. Ce portrait s’inscrit donc, bien malgré moi, dans la longue lignée des textes qui lui rendent hommage et qui retracent les faits marquants qui ont jalonné la trop courte vie de ce passionné de la glisse.
Les débuts
Mordu de ski dès son plus jeune âge, Jean-Philippe Auclair était bien plus attiré par les pistes enneigées que par l’école, ce qui n’a pas manqué d’inquiéter un tantinet ses parents -qui ne l’aurait pas été? Sa fougue sur les skis lui aura valu bien des remontrances de la part des patrouilleurs des différentes stations de ski où il a évolué. Après avoir débuté sur les pistes de la “butte Myrand”, JP a passé son adolescence à Stoneham, pour ensuite intégrer le club de ski du Mont-Sainte-Anne. Talentueux, il fait même partie des espoirs de sélection pour l’équipe du Canada en vue des J.O. de Salt Lake City, en 2002. Avant d’avoir atteint la vingtaine, le jeune Auclair sait qu’il est définitivement plus attiré par l’aspect “freestyle” que par toutes les autres structures plus rigides et officielles; il délaisse donc les compétitions pour s’adonner pleinement à ses projets de tournage, et au développement d’un tout nouveau type de ski.
Le pionnier discret
Membre en règle de la New Canadian Air Force, JP Auclair a agi à titre de pionnier pour le freeski: éclatement des sentiers battus, création de nouvelles figures, et même conception du tout premier ski à double spatule (“twin tip”), le fameux Salomon Teneighty (1080). Ce type de design révolutionnera le freestyle skiing et plusieurs autres skieurs émérites l’adopteront. En 2002, JP Auclair co-fonde, en compagnie de Tanner Hall, la compagnie de ski Armada, à la tête de laquelle il se trouvait jusqu’à son décès. L’entourage de JP est unanime: qu’il soit question de photographie ou de tournage, de développement de produits alpins, de faire du ski ou de s’impliquer dans sa communauté, le qualificatif qui est sur toutes les lèvres est le même: passionné. Les éloges qui ont suivi son décès le rendent d’autant plus navrant.
Il y a quelques mois, JP a été déclaré “Aventurier de l’année” du National Geographic par un vote populaire tenu en ligne. Il a succédé à Felix Baumgartner, qui a été découvert par le public avec son projet de Red Bull Stratos. Lorsque le National Geographic a annoncé à JP Auclair qu’il avait remporté le titre, il a déclaré s’être senti comme un imposteur, alors qu’il était assis plusieurs heures par jour devant son ordinateur. Dans un article reprenant les faits marquants de sa carrière, la prestigieuse société NG vante son approche des sports en général et le définit comme un aventurier pour l’ensemble de son oeuvre, tant du côté artistique que du côté sportif. Les exploits de JP ont d’ailleurs fait l’objet de plusieurs films; nombreux sont les skieurs qui carburent aux séquences mémorables tournées aux quatre coins du globe, tant en nature reculée qu’en pleine ville. L’un des segments les plus admirables, le “street segment” de All. I. Can. (Sherpas Cinema), servira probablement d’inspiration à quelques générations de freeskieurs.
L’homme qu’il restera
Aux yeux de tous, JP Auclair a une image riche et plus que flatteuse: l’homme, l’ami, le nouveau père, l’humaniste, le skieur passionné, le créateur, l’artiste. Ceux qui ont eu la chance de le côtoyer se souviendront toujours du plaisir qui l’animait lorsqu’il parlait de ses différents projets. Parmi l’un deux, la fondation Alpine Initiavites, qu’il a mise sur pied et dont l’objectif est de créer des projets de coopération internationale en lien avec les différentes communautés et entreprises de l’industrie du ski. Né du désir de s’impliquer davantage pour “donner au suivant”, cet organisme à but non-lucratif a vu une branche pousser dernièrement, le Auclair Fund, dont le but plus simple est d’aider la famille directe de JP à traverser les moments plus difficiles; le nouveau venu Auclair, Léo, aura un an en mai prochain. Rien ne ramènera jamais le disparu à la vie, et le seul prix de consolation qui soit est celui de savoir que JP a contribué, à sa manière, à rendre le monde du ski meilleur.
Merci, JP.